un fantôme
Cette intervention
est un hommage à
Wystan Auden.
Cochonfucius naquit, se trouva parmi nous,
jamais près d'un autel ne se mit à genoux.
Il est sérieux comme on peut l'être
et ne connaît pas ses ancêtres.
Il sait pourtant qu'il a un père,
mais là ne va point sa prière.
Il n'a du sentiment filial
qu'en son sommeil paradoxal.
Le maître, en ivresse légère,
entend, de la voix de son père,
cette édifiante lecture :
« Bienheureux qui a le coeur pur ».
En décembre et dans la froidure,
que n'est aucune chose mûre,
il vagabonde sans arrêt,
suivant la route et ses lacets.
En décembre, en un froid polaire,
voit un fantôme au cimetière
qui d'un trésor l'a gratifié :
c'est le fantôme d'un caissier.
En décembre où gèle la plaine,
il croit à sa fortune à peine,
mais il remercie poliment
et jette ses vieux vêtements.
Il prit un logis confortable
dans un endroit bien respectable ;
le fantôme eut un oeil sur lui
comme un chat sur une souris.
Ses disciples, les joyeux drilles,
ont voulu le mener aux filles,
samedi soir, pour s'amuser;
il a poliment refusé.
Et dans le temple des bouleaux,
il offrit un cierge, et un gros.
« Ma foi, dit-il, je suis bien brave,
mais ma timidité m'entrave ».
Le maître à sa chambre est monté,
les démons viennent l'affronter,
mais avec une aide invisible,
il échappe à leur troupe horrible.
C'est du printemps le premier jour.
Le fantôme, d'un bel amour
prenant la voix et le visage,
s'est introduit dans le village.
Il prend le corps d'une écolière
et le rire d'une rosière,
mais il peut, d'un baiser brûlant,
enivrer l'amant d'un instant.
Il se revêt d'une parure
de douce et d'épaisse fourrure.
Le maître, en montant l'escalier,
d'amour fut pieds et poings lié.
Au fantôme il fait des avances,
c'est le début d'une romance.
Et puis la chose a perduré,
plus d'un disciple en fut gêné.
Le maître ayant brisé la glace,
le fantôme a fait la grimace :
« Ah, pauvre humain, tu as bien tort,
bien malheureux sera ton sort ».
Quand ensemble ils se promenèrent,
advint la demande dernière,
le fantôme en un long baiser
lui dit « Oui, tu dois m'épouser ».
À l'été advint leur union,
rien jamais ne fut plus mignon,
hormis Pâris avec la reine
qui se nomme Hélène troyenne.
Mais lors de la saison suivante,
un vieux magicien se présente
et démasque l'esprit trompeur
qui prend la fuite à grande peur.
Sur cela le maître disserte
auprès de sa porte entr'ouverte :
« Par ma foi, je fus le dernier,
déclare-il, à m'en méfier ».
Le pauvre fantôme en alerte
auprès de la porte entr'ouverte
entend les gars dire comment
le maître s'est cru son amant.
Sort le fantôme du village,
puis il se perd dans ses parages
et tombe aux sinistres faubourgs.
Il chante une chanson d'amour.
Le fantôme est face au couchant.
Au grand vide il va demandant :
« Seigneur, êtes-vous dans la nue ? »
Le ciel dit « Adresse inconnue ».
Le fantôme voit les sommets
que la neige orne d'un plumet :
« Maître, ai-je agi à votre guise ? »
« Aucunement », répond la bise.
Le fantôme parvient aux bois :
« Maître, reviendrez-vous à moi ? »
Mais les grands arbres, de leur front
ont tremblé pour lui dire « Non ».
Le fantôme est au pâturage
où le vent produit son ramage :
« Maître, mon amour fut si grand »...
« Mais il mourra », lui dit le vent.
Le fantôme est à la rivière
à l'eau si profonde et si claire :
« Maître, ne sais ce que je dois »...
« Dormir », lui dit le ruisseau froid.
Le fantôme est dans la nuit moite,
un jeu de cartes en sa main droite.
Le fantôme à table se tient,
« Mon amour est là qui revient ».
Point n'a pris Valet de carreau
ni l'Excuse de son tarot,
ni Roi fou ni Dame perverse,
mais l'As de pique à la renverse.
Le fantôme est devant la porte,
il ne dit mot d'aucune sorte.
« Quand reviendra mon cher époux ? »
Ne reviendra ni peu ni prou.
À sa gauche une voix l'exhorte,
à sa droite une autre voix forte,
la tierce voix en son cerveau
disant « Retournons au tombeau ».
Le fantôme est dans la peur grande,
ses traits se figent et se tendent,
« Maître, il eût mieux valu pour vous
ne jamais venir parmi nous ».
Le fantôme a quitté la table
en poussant un cri pitoyable,
comme un qui retourne à la mort,
comme un cauchemar quand on dort.
Derrière un linge se cachant,
d'un sceptre de roseau s'armant,
ne peut fuir les voix qui l'incitent
à prendre son ultime fuite.
La porte il ouvre avec violence,
en sa galopade il se lance,
puis il monta les escaliers
allant jusqu'au dernier palier.
Le fantôme en pleurant son sort
se prenait à chanter bien fort
« Je suis, sur ces marches rougies,
la résurrection et la vie ».
Le fantôme sans pieds ni mains
croyait voir le bout du chemin ;
il dit « Je suis
Jean le Baptiste,
et je suis Fils de l'Homme et Christ ».
Le fantôme redevient femme
adorable, et ensuite il clame :
« Je suis l'Alpha et l'Oméga,
celle qui tous vous jugera ».