Ecrire sur le Zen n'est pas zen
Quelques érudits demandèrent à
Cochonfucius d'écrire sur le Zen.
Il fit remarquer que ce ne serait pas Zen (pour lui) de le faire. Ils s'enthousiasmèrent, disant que
c'était bien de sa part d'avoir trouvé le titre aussi rapidement. Quel titre ? « Écrire
sur le Zen n'est pas Zen pour Cochonfucius » par lui-même.
En plus vous
avez déjà écrit
tout plein de choses
raisonnables, comment oserais-je rajouter mon grain de sel ?
Bon, mais par ailleurs, j'avais offert
ma contribution, quand on en était encore au stade verbal. C'est d'écrire, qui n'est pas Zen ?
Ou bien de s'apercevoir qu'on n'a rien à expliquer, tout est clair, s'asseoir tout simplement.
Incipit hic tractatus de Zenbudismo, quem Cochonfucius invitus scripsit.
Si personne ne comprenait vraiment la nature de l'expérience Zen,
il serait facile, mais inutile, d'en parler ici. Si tout le monde
comprenait parfaitement la chose, alors deux ou trois
phrases à visée synthétique feraient l'affaire. Et si ceux qui savent quelque chose
voulaient bien le raconter à ceux qui ne savent rien ?
Imaginons ce cas de figure. Un chercheur se présente dans
une assemblée, et annonce à la cantonade : je vais vous expliquer l'essence et la
nature du Zen. C'est le bouddhisme. Et
le bouddhisme
n'est que
la condition humaine devenue consciente de
l'insignifiance qui est la sienne, et qui a quelque chose de grandiose.
Ses camarades
l'écoutent avec scepticisme. Pour eux, le bouddhisme est une forme culturelle historiquement
déterminée, étroitement liée aux grandes civilisations d'Asie Orientale, et ne peut
passer pour la façon de vivre la plus authentique pour un sujet humain conscient et éclairé. De plus,
la pratique du Zen comporte des rituels barbares. Se soumettre à un instructeur dans la Voie,
c'est féodal. Rester assis pendant trois heures comme un idiot, c'est contre-productif.
Croire à une Révélation transcendante, c'est de la superstition.
Les sceptiques ont partiellement raison.
Il peut arriver que les instructeurs abusent de l'immense pouvoir dont ils disposent. Il existe un
usage paresseux de la méditation. Les personnes superstitieuses ne sont pas interdites de Zen.
C'est comme si les écoles de conduite automobile étaient
innombrables, et comme si le code de la route comportait des variantes contradictoires. Certaines de ces
auto-écoles se contenteraient de projeter des films dont les personnages se déplacent en
automobile. Les apprentis-conducteurs apprendraient à rester assis pendant les projections de films,
puis à rester assis sans même qu'on projette un film, afin d'imaginer
un parcours en voiture, à partir de leurs capacités acquises.
Cette image vise à rappeler que pratiquer
la méditation est incontournable. Passé un certain âge, nombre d'entre nous sont
sujets aux insomnies
qui sont une occasion toute trouvée pour méditer. Un entraînement à la
position assise, ainsi qu'à la non-pensée, donne à cette méditation une
saveur plus forte. Mais raconter cette saveur dans un document écrit ?
En deux mots, la méditation sera frustrante ou
fortifiante. La posture correcte et la discipline Zen ne sont certes pas le moyen
exclusif de parvenir à l'effet fortifiant, et par ailleurs, il n'est pas conforme à l'esprit
Zen de souhaiter un tel effet. La pratique est néanmoins un facteur incontournable dans
ce phénomène, comme l'alimentation, la lecture, la vie sociale et bien d'autres
paramètres.
Et c'est pourquoi elle n'est pas Zen,
la plume qui trace de tels écrits, qui en disent trop, et qui n'en disent pas assez. Trop, car ils préjugent de l'effet du
Zen sur une autre personne que l'auteur, qui plus est, un lecteur inconnu. Pas assez, car chaque point
esquissé ici mériterait un développement et une confrontation avec d'autres approches.
De plus, les insomnies sont une chose, mais la méditation peut se pratiquer, en tant que loisir
personnel, au hasard des occasions favorables, et en tant qu'entraînement personnel, à des
moments où le pratiquant a rendez-vous avec lui-même. Pour ceux qui le savent, c'est un rappel,
pour les autres, une invitation.