la couture des programmes
Cette intervention
est comme la
couture
des programmes.
la fraternité
Abel, mon compagnon, accepte un peu de bière !
Car, depuis bien des jours, tu n'en as pas repris ;
Pourtant c'est un plaisir qui toujours vaut son prix,
L'homme qui a bien bu aime la terre entière.
Abel, mon doux frangin, prends un peu de gruyère !
Le mangeur de fromage est gai comme un cabri ;
Il oublie la fatigue, il oublie le ciel gris,
Et que l'homme est un corps qui retombe en poussière.
Abel, tu ne bois pas, et tu ne manges rien,
Mais tu devrais, pourtant, puisque c'est pour ton bien,
Je fais tous mes efforts... ah, vraiment, ça me navre.
Or, Caïn continue à être prévenant,
Cela fait quelque temps qu'il parle, maintenant ;
Abel ne répond rien, ce n'est que son cadavre.
* * *
Abel
Adam dit à Caïn : « De Dieu tu es l'image. »
Caïn eût mieux aimé qu'il n'y eût pas de Dieu.
Pour ne pas disperser ce divin apanage,
Il a tué son frère, un homme aimable et pieux,
Après ce sacrilège, il ne vécut pas mieux,
Mais il passait ses jours et ses nuits dans la rage.
Quand il eut à subir la vengeance des cieux,
Il jugea qu'envers lui ce n'était qu'un outrage.
Descendants de Caïn, gardons-nous de nous-mêmes,
Des sentiments pervers, des colères extrêmes,
Noircissant notre coeur comme noircit un ciel
Quand l'orage l'emplit d'éclairs et de tonnerre.
Laissons passer l'orage, et soyons débonnaires :
Caïn eût été noble en épargnant Abel.
* * *
Sans rêves
Abel, ce n'est pas moi, c'est cette lourde pierre
Qui t'a ôté la vie, et tu m'en vois surpris.
De mon triste forfait, comment payer le prix,
Même en me repentant pendant ma vie entière ?
Abel, ton nom sera toujours dans mes prières,
Chaque année je ferai l'offrande d'un cabri,
Même quand mes cheveux seront devenus gris,
Et la veille du jour où je serai poussière.
Abel, si tu le peux, dans mes rêves surviens
Pour guider mon esprit, chaque nuit, vers le bien,
Comme une étoile guide un marin vers son havre.
Or, quelques jours plus tard, la voix d'un revenant
Vint prédire à Caïn : « Ton sommeil maintenant
Sans rêves coulera, tel celui d'un cadavre. »
* * *
Parce qu'il a parlé au meurtrier d'Abel,
On croit que le ciel parle. Incertaine est la chose.
Sur des récits anciens nos convictions reposent,
Sans réponse, souvent, sont restés nos appels.
Et l'épouse de Lot, changée en tas de sel,
(L'histoire est racontée en excellente prose),
Prodiges d'autrefois venant plaider la cause
D'un tout-puissant Seigneur, parfois un peu cruel...
Je comprends que toujours, des apprentis prophètes
Abreuvant de sacré leur âme stupéfaite
Veulent répercuter les divines rumeurs ;
Mais je ne cherche pas, dans le temps qui me reste,
A recevoir l'avis d'un messager céleste :
Je me contenterai de mes mots de rimeur.