La licorne de brume parle aux petits ornithorynques









Une licorne s'introduisit dans un terrier que des ornithorynques avaient creusé dans la berge d'un cours d'eau qui traversait le jardin de Cochonfucius de part en part.




Premier Ornithorynque : Aujourd'hui nous recevons la Grande Licorne qui semble avoir été attirée par nos provisions de camembert, ce bon fromage que nous avions, pourtant, traité pour qu'il soit invisible.

Qu'est-ce que cela représente pour vous, un morceau de camembert invisible ?

La Licorne :
Le camembert invisible est un camembert mystique, aux origines du monde, et qui se déstructure et se restructure pour remodeler un objet cylindrique avec une image projetée et puis c'est ce grand questionnement qu'est l'apport d'un grand verre de pinard et ce que cela va générer. Tout cela c'est derrière.

Premier Ornithorynque : Donc en fait c'est un peu le camembert des nouvelles perceptions ?

La Licorne :
Oui. Quelles sont les nouvelles perceptions de notre corps en respirant cette odeur alléchante.
Spécifiquement, ce que j'ai cherché à développer en suivant cette piste odorante, c'est la relation avec le fromage pour qu'il ait une conscience différente de son rôle dans la chaîne alimentaire. Par exemple au moment même où il commence à couler sur sa planche, on travaille ensemble de façon à ce qu'il pense vraiment à l'image qu'il déclenche, afin de développer une gestuelle "étendue", dans cette conscience-là, et qu'il fasse corps avec le mouvement des fragrances déclenchées.
J'ai découvert là une relation unique qui implique que je sois très liée avec les morceaux de camembert invisible dans mes perceptions olfactives pour que l'odeur devienne comme le prolongement du concept.

Premier Ornithorynque : Oui, et tu as été un camembert normand, dans une vie antérieure ?

La Licorne : J'ai fait carrière dans une honorable fromagerie du centre ville, à Rouen.

Deuxième Ornithorynque : Et tu pratiques la méditation, grande licorne...

La Licorne : Oui. Ou plus exactement, je me livre à des divagations.

Deuxième Ornithorynque : Qu'est ce qui t'a poussée à travailler davantage sur le camembert ?

La Licorne : Ce sont des rencontres. Oui, c'est vrai que, la première fois que j'ai senti l'odeur d'un camembert, c'était dans une rue sombre, je n'ai pas immédiatement compris ce qui se produisait. Donc cela a commencé comme ça, et puis après, cela s'est fait en fait en plusieurs étapes. On a toujours envie, dans ce domaine, de faire des expériences, de chercher quelque chose, donc on continue dans le prolongement.

Deuxième Ornithorynque : Est-ce que tu peux expliquer ton parcours personnel ?

La Licorne : Je viens de la savane. Au départ, j'ai commencé par manger des feuilles d'arbres. J'ai débuté par des feuilles d'acacia, et tout de suite après j'ai fait un acte très important pour moi car déterminant pour la suite, j'ai mangé les feuilles d'un marronnier. En fait c'était un petit peu, pour moi, montrer que ce que je voulais, c'était la possibilité de manger toutes sortes de feuilles. Et alors, j'ai mangé un peu n'importe quoi, car je ne trouvais plus de feuilles. Et chaque type d'aliment que je mangeais, pour moi c'était signal et langage codé. Et donc tout cela ça m'a ouvert des portes si je puis dire, de nouvelles possibilités avec en plus l'arrivée du marchand de fromage et j'ai continué plus tard et jusqu'à ce jour.

Premier Ornithorynque : D'accord, jusqu'à ce jour. Alors pourquoi avoir choisi de mettre en association le camembert et le pinard et par là-même qu'est-ce que te révèlent ces aliments alors, justement ?

La Licorne :
Le mot de révélation est juste parce que ce que je cherche, c'est vraiment une révélation à travers d'autres possibilités qui peuvent émerger soudainement comme ça en grignotant, en recherchant autre chose avec le camembert et le pinard comme une nouvelle communication. Disons, le camembert dans un autre environnement qui n'est pas forcément celui que l'on peut toucher tous les jours.

Deuxième Ornithorynque: Alors, je sais que tu connais un jeune catoblépas qui travaille sur des capteurs qu'il met sur des endroits sensibles et fait manipuler son corps par d'autres à distance. Tu connais un catoblépas vieillissant qui fait l'inverse, qui fait de la musique avec l'intériorité de son corps. Tu ne te situes ni dans la problématique du jeune catoblépas, ni dans celle de son congénère qui est vieux...

La Licorne : Je me sens plus proche du vieux, dans le sens où cela correspond plus à ma vision d'un camembert-interface qui par sa présence, démultiplie et amplifie les possibilités dans ma relation à l'autre à travers le développement d'un imaginaire en direct stimulé par les vides et les pleins de l'olfaction ; le dit et le non-dit en quelque sorte...
J'ai découvert ça dans ma cuisine. Au départ je voulais travailler avec des corbeaux. Que cela soit eux qui soient l'interface entre les camemberts et moi pour découper les morceaux d'une manière précise. Et en fait cela ne s'est pas fait pour des tas de raisons et du coup, j'ai découvert une autre relation avec les camemberts qui m'a intéressée tout à fait en impliquant mes émotions et ma sensorialité en direct et maintenant j'aimerai bien intégrer ce vécu en étant l'interface amplifiée et amplificatrice.
En ce qui concerne le jeune catoblépas, je trouve très courageux ce qu'il fait. Que ce soit du jeune ou du vieux, je soutiens ces démarches-là car elles reposent forcément la question du corps aujourd'hui en explorant aussi de nouvelles possibilités à venir, quitte à déranger...
Ce que j'aimerais vraiment développer et je dirai même déployer, c'est une perception qui vient de l'intérieur. Pour le jeune catoblépas, le corps est terminé. Pour moi, il y a un prolongement, il y a quelque chose qui commence de nouveau effectivement mais qui est de l'ordre de l'immatériel et c'est ça qui m'intéresse de travailler, c'est qu'est ce qui se trame dans la relation puisque maintenant on prend conscience que c'est là que ça se passe, dans une dynamique de communication. Nous sommes dans un monde de communication. Et c'est vraiment qu'est ce qui se trame que ce soit à travers les réseaux, à travers tous ces bons fromages qui embaument, qu'est ce qui se trame là-dessous et quelle est la notion nouvelle de la gastronomie qui est développée dans nos rapports entre nous, dans notre langage quel qu'il soit...Qu'est ce qui est dit véritablement...

Deuxième Ornithorynque : Ce qui m'a sensibilisé dans ce que tu dis c'est que j'ai remarqué que dans beaucoup de discours de licornes concernant les nouvelles technologies on parle de pensée-corps qui s'oppose à la pensée logos dite logarchie d'ornithorynque et en mettant souvent d'après elles les ornithorynques dans le monde du corps externe, du dehors, et pas celui du dedans qui se projette dans un nouvel environnement. Est-ce que tu veux dire par là que le jeune catoblépas est encore dans un corps qui est celui du dehors ?

La Licorne : "Encore", je ne sais pas, encore, qu'est-ce que cela veut dire cette notion de durée..

Deuxième Ornithorynque : Tu veux dire ça parce que ce n'est pas lui qui pilote son corps, ce sont d'autres, donc ce n'est pas l'intériorité qui est en jeu c'est ça ?

La Licorne : Non, je dis encore, je ne sais pas, parce que cela pourrait vouloir dire est-ce qu'il en est encore là ?... Non, c'est aussi intéressant d'autres perceptions ; j'aime bien les points de vue différents. Peut-être est-ce parce que c'est un catoblépas qu'il a cette vision-là, effectivement. Je pense que comme on travaille avec les prolongements de nous-mêmes et donc ce que l'on est par nature, selon notre structure, notre véhicule qui est un corps différent, forcément cela suppose que l'on ait des perceptions ou visions différentes des choses... Quant à cette idée de se faire manipuler par d'autres à distance, moi, je préfère avoir le contrôle...