Sur La relève de l'escadre de Perse (Ginkgo,
380 pages, novembre 2004, ISBN 2-84679-026-8, 19 euros)
édition de Philippe Fabry par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




Les éditions Ginkgo offrent des voyages dans le temps              Le 16 mars 1671, trois navires prennent la mer : le Breton, le Guillot et le Barbot. Partant de La Rochelle, ils iront à Goa, puis à Pondichéry, pour y établir la puissance du Royaume de France. Sur le premier de ces vaisseaux, trois officiers se sont relayés pour tenir un journal de navigation, grâce auquel, avec l'aide de Philippe Fabry qui en fut le patient déchiffreur, il est maintenant possible de suivre cette odyssée indienne au jour le jour.


C'est d'abord la tranquille route vers le Sud, à peine troublée par la désertion de trois matelots aux Canaries, puis le Baptême de la Ligne, quelques cas de scorbut, et de graves hésitations sur la route à suivre lors du passage du Cap de Bonne-Espérance. Poursuivant sa route, le vaisseau dépose à terre un assez grand nombre de malades, lors d'une escale sur l'île de la Réunion, dont le gouverneur trouve cela fort incommodant.

Début octobre 1671, le capitaine consulte quelques-uns de ses compagnons sur le fait de passer ou non par Madagascar. De l'avis général, il vaut mieux prendre la route la plus directe pour les Indes. Mais ni les officiers, ni les pilotes ne sont très sûrs d'eux dans cette affaire.

Les semaines passent, monotones et laborieuses. Le 4 décembre, nos marins retrouvent l'hémisphère Nord. Le 22, ils aperçoivent la côte de Ceylan. L'escale a lieu à point nommé pour s'approvisionner en vivres frais. Mais la mission continue. En janvier 1672, ils sont du côté sud-ouest de la pointe de l'Inde. Ils rencontrent leur premier comptoir français, aux ordres du seigneur de Flacourt, faisant négoce de poivre, de cardamone et de bois de santal. Le 26 janvier, ils voient Goa, surmonté d'un monastère de Cordeliers. Le 28, la fameuse escadre de Perse les y rejoint. Cette flotte imposante a pour mission de montrer, le long des côtes indiennes, la puissance du roi Louis XIV. Elle associe des navires militaires et d'autres qui sont de la Compagnie des Indes.

Dès le mois de février, l'amiral Jacob Blanquet de La Haye, commandant cette escadre, engage un complexe travail diplomatique, établissant notamment des alliances avec des rois locaux, et priant les Hollandais de laisser les responsables de comptoirs exercer leur négoce. Les Hollandais en question réagissent plus ou moins favorablement, selon le rapport des forces. Il faut aussi établir le contact avec le roi Sinha II de Ceylan. Des ambassadeurs sont désignés à cet effet.

La flotte reste au mouillage, de longues semaines, dans la baie de Trincomalee, sur cette île. A leur retour, début mai, les ambassadeurs se louent du bon traitement qu'ils ont reçu. De plus, le roi Sinha reconnaît volontiers la grandeur particulière du Royaume de France, dont il recherche l'alliance. Cependant, les Hollandais ne désarment pas. Les vivres manquent, de façon chronique.

Le 9 juillet, faute de tenir leur position, les Français l'évacuent presque entièrement, et longent la côte de Coromandel. Dans la forteresse de Tranquebar, quelques jours plus tard, une garnison danoise les reçoit fort civilement. De même, les Anglais, un peu plus tard à Madras, les ravitaillent. Non loin de là, le 25 juillet, nos héros reprennent la ville de São Tomé aux musulmans qui la tenaient depuis dix ans, ce dont les autres représentants des nations chrétiennes les complimentent.

Le 19 août, le poste de garde laissé à Trincomalee est vaincu par les Hollandais. Le 3 septembre, parvient d'Europe la nouvelle que la guerre est déclarée entre France et Hollande, et que les Anglais sont avec nous contre les Hollandais. De leur côté, les musulmans multiplient les tentatives pour reprendre leur ville. Mais l'artillerie la défend bien. Cependant, l'ennemi ne tarde pas à faire venir la sienne. La diplomatie n'est pas en reste. Le mauvais temps s'installe. L'assaut général se prépare.

En mars 1673, la situation devient confuse. Le temps n'a cessé de jouer contre nos marins, qui voient mourir, chaque semaine, plusieurs des leurs, soit de maladie, soit dans des escarmouches. Aucun renfort ne leur parvient. Rois locaux, missionnaires catholiques et alliés anglais essaient de trouver pour eux des accords de paix, mais s'y prennent tous mal. Les Danois n'ont aucun enthousiasme pour la cause du Roi de France. Mais le 10, par un coup de théâtre, le général ennemi périt sur le champ de bataille, et son adjoint lève le siège.

Cependant, l'argent manque. Les nuits d'avril se passent à des travaux de fortification (le jour, il fait trop chaud). Le 11, le navire le Breton se met en route pour Masulipatam, afin de mettre la main sur la flotte adverse. Ce plan est un succès. Le roi de Golconde en prend acte et fait de prometteuses offres de paix, mais les tractations qui s'ensuivent retiennent l'amiral à Masulipatam jusqu'à fin mai. C'est alors que, vingt-deux vaisseaux hollandais étant signalés à l'approche, les Français, pour en éviter la rencontre, partent pour Pondichéry, qu'ils atteignent le 30 juin. Mais l'endroit est, lui aussi, sous la menace.

Nos vaisseaux, fuyant Pondichéry, s'en retournent à São Tomé. Là aussi, les choses vont assez mal. Heureusement, Madras, qui peut servir de refuge, n'est pas loin. Du renfort est peut-être parvenu à Ceylan, mais ce n'est pour l'instant qu'une rumeur. Il faut, dans l'intervalle, défendre la ville de São Tomé tant bien que mal, toujours par escarmouches et manigances. Au début de septembre, les rédacteurs du Journal de bord du vaisseau le Breton abandonnent la partie, qu'ils estiment perdue. Ils prennent une chaloupe et se rendent à Madras. Ils cessent de tenir ce Journal.

Philippe Fabry, citant les travaux d'Anne Kroell, nous informe qu'ils purent traverser le Deccan à pied, et s'embarquer au port de Surate pour la France. Ce qui restait de la grande escadre fut perdu en mer, tandis que l'amiral Jacob Blanquet de La Haye, ex vice-roi des Indes, regagnait à son tour la France, l'année suivante. L'expédition finit donc par un désastre.

C'est ce qui rend d'autant plus émouvant le fait d'avoir entre les mains les notations quotidiennes des trois pauvres marins, qui se demandent souvent ce qu'ils sont allés faire sur cette galère. Les notes en bas de page et les belles illustrations fournies par Philippe Fabry en rendent la consultation d'autant plus abordable. Même si l'histoire finit mal, elle nous éclaire sur un point important de la géopolitique des siècles passés, ainsi que sur l'ambiance parfois tendue qui régnait à bord des grands voiliers d'autrefois.