la roue
Cochonfucius par Stéphane Cattaneo
   
cette muse a d'autres rimes




Cette intervention évoque la roue cosmique.


Nos chemins ici-bas ne sont jonchés de roses,
Et tout ce que l'esprit trouve à ronger de choses
Lui résiste au point qu'il doit les laisser en plan :
Nos rêves bien souvent nous le vont rappelant.

Sur le bord d'une roue qui sur rien ne repose,
Tu surmontes la peur dans ton esprit éclose.
Tu sais distinguer l'être en observant l'étant,
Tu sais que tu ne sais pas percevoir le temps,

Rien que le mouvement de ce qui toujours meurt
Sans sursaut, sans tristesse et surtout sans clameur :
Qui n'est pas éternel, disons-le transitoire.

De principal rayon la roue n'a pas, vraiment,
Et sans cause et sans but sont tous ses mouvements :
Sans aucun scénario se déroule l'Histoire.





     Le constructeur Trurl sortit de chez lui et vit que le ciel avait amoncelé étonnament de roses dans son allée de jardin. Il courut dans la maison chercher son autoscope, pour constater que sa propre vie recelait autant de vies écloses.

« Mince, grogna-t-il, encore une farce de mon rival, le constructeur Klapaucius. »

Un homme du commun, qui se trouvait dans le jardin, ajouta qu'il le concevait aisément, puis s'éloigna à toute vitesse en prévision d'une catastrophe prochaine.

Aussitôt Trurl appliqua, à tout ce qui lui tomba sous la main, de grands coups de gnose (faite maison) et tout devint en effet comme le bord d'une roue cosmique.




Tu ne vois de ta vie la période initiale ;
Si tu l'apercevais, confus serait le trait
Qui, provenant d'un point, aurait été extrait
D'un brouillard qu'agitaient les forces primordiales.

Tu trouves la structure assez paradoxale ;
Or, ainsi en va-t-il dans le monde concret,
Si la vie était simple, alors, ça se saurait,
Nul corps pouvant bouger n'est une cathédrale.

Tu vois que la pulsion oscille en amplitude,
En effet, pourquoi pas, c'est, même, une habitude ;
Le coeur peut s'affoler sous un coup d'aiguillon.

A long terme il se peut que l'effet s'amortisse,
Tel le souffle du ver qui toujours sa mort tisse,
Sa mort, ou le cocon d'où sort un papillon.



Alors la fatalité se mut, s'alla mouvant dans le temps, cadra des tragédies chez Klapaucius qui ne s'attendait pas à une telle contre-attaque.

Puisque Trurl avait fait une roue, Klapaucius décida de la munir d'un axe. Il acheta douze centimètres de Principe infini dans une mercerie galactique et s'efforça de lui donner un profil rectiligne.

Malheureusement pour lui, il n'avait pas choisi le bon diamètre, ni la bonne courbure spatio-temporelle.

De plus, en s'approchant de la roue, il oublia que le chemin était jonché de roses, et se planta des épines dans les deux pieds. Perdant patience, il engagea sommairement l'axe au coeur de la roue et laissa le tout en plan.


        Horloge aux mouvements altiers,
        Tu n'inscris pas un nombre entier
        De jours dans un an de la Terre.
        Horloger faiseur de mystères,

        Toi que le fils du charpentier
        (Maître d'amour et de pitié)
        Prétendait être son vrai Père,
        Quelle horloge as-tu voulu faire ?

        Est-ce pour nous donner conscience
        Du besoin de calcul, de science,
        De mesure et d'observation ?

        Mais une fois sur cette route,
        Forcément, nous avons des doutes :
        Es-tu la bonne explication ?

Trurl, ayant surmonté sa peur, descendit à la cave et revint avec une bouteille de vin blanc, deux verres et un tire-bouchon (de son invention).


Où vois-tu une horloge ?


-- Icare traversant les cercles planétaires
Tantôt semble monter, tantôt se faire lourd.
A la loi newtonienne il n'est pas vraiment sourd,
Il ne sait pourtant pas s'en tenir à sa sphère.

Mais ce corps qui nous semble infiniment précaire,
Depuis déjà longtemps suit le même parcours ;
Or, si nous le croisions, ce serait sans recours,
Icare obscurcirait alors notre atmosphère.

La vénérable horloge issue du fond des âges
Fait fonctionner ainsi d'étranges engrenages,
Voltaire a déliré, en parlant d'horloger.

-- Ne disons pas de mal des astres, des comètes,
De ce brave soleil, ni, surtout, des planètes :
Je me sens bien sur celle où nous sommes logés.


Tout en buvant sous une tonnelle, les deux constructeurs s'inquiétaient (bien inutilement) du fait que le présent récit ne comporte pas vraiment de scénario.


Adam pour son jardin se bricole une horloge.
La lune et le soleil lui semblent capricieux ;
De nuages parfois se recouvrent les cieux
Que vainement alors le regard interroge.

Et dans cette machine où son génie se loge,
Il voit un vrai triomphe, un instrument précieux,
La belle solution qu'un esprit audacieux
Trouve aux défis, s'il veut être digne d'éloges.

Mais cela fait du monde une foire d'empoigne,
Et du jardin natal, chaque jour on s'éloigne,
Par l'horloge abrutis du matin jusqu'au soir.

Ce n'est pas pour toujours, poète, prends patience,
De vivre sans horloge on trouvera la science :
Et nos nouveaux jardins seront plaisants à voir.


« Douze centimètres, c'est un peu riquiqui », dit Klapaucius.

« J'aurais dû choisir la forme circulaire, pour la roue », conclut Trurl en contemplant le désastre.





Un peu de jeu dans l'axe et cette roue immense
Prenant un angle ayant toujours moins de rigueur
Envers nos humbles voeux montrerait sa clémence
Nos désirs seraient moins soumis aux élagueurs

Si des branches sur l'axe étaient arborescence
Amie du rossignol et du merle moqueur
La loi se tiédirait en sa déliquescence
Un battement de trop serait permis aux coeurs

Mais la roue tourne sobre et stricte dans le vide
Narguant les amoureux de transgresser avides
Réduits pour le moment à des péchés virtuels

Peut-être seulement qu'un petit cochon rêve
De cette lourde roue qui nos destins achève
Et que la liberté règne dans le réel