le troubadour
Je suis loin de valoir mes aïeux troubadours, Ma langue est trop bavarde et fait trop de détours. Je ne sais au lecteur faire voir une dame Ni faire partager une mordante flamme. Un visage entrevu le soir à contre-jour, Silhouette apparue avec ou sans atours, Mais surtout le sourire et la voix d'une femme... Or je n'avais le droit de saisir aucune âme. Et ce commandement : distance préserver, Fait que pas un seul mot ne fut dit face à face, Malgré cent mille mots transmis et archivés. Mais ce fut sur la toile, un virtuel espace. Devons-nous te maudire ou te bénir, époque Qui permets l'éclosion de ces amours baroques... |
le rimeur
Le rimeur est heureux s'il croit avoir du style, S'il se sent souverain de la forme et du fond, S'il croit pêcher le sens à l'abîme profond ; Mais le sens, par nature, est chose plus subtile. Les mots ne savent prendre attitude servile, Assemblages entre eux par surprise se font, Se croire leur patron, c'est être leur bouffon, Peu leur chaut, en effet, de se savoir utiles. Ne les lance donc pas à coups de manivelle, Mais écoute leur voix toujours un peu nouvelle ; Avant que d'assembler, regarde les fragments. Ainsi qu'un échelon vers un beau théorème, Chaque vers contribue au bâti d'un poème, Comme, pierre après pierre, émerge un monument. |
la vigne de mon grand-oncle
Vigne de mon grand-oncle où je mangeais des figues, Cela fait cinquante ans et une ou deux saisons. J'aimais ce lieu caché, un peu loin des maisons, Où la nature était chaleureuse et prodigue. Ce regret du passé qu'il faut que l'on endigue, Nous luttons contre lui avec notre raison, Et la plupart du temps, c'est vrai, nous l'apaisons, Mais combien j'aimerais marcher dans la garrigue... J'ai distendu mes liens d'avec ce cousinage, Fort peu de souvenirs de cet endroit surnagent, Et je ne saurais pas en être chroniqueur. Oncle, je ne sais pas qui cultive ta vigne, Ou si des constructions à sa place s'alignent ; Je sais que ton figuier me rafraîchit le coeur. |
Paroles de la vigne
La vigne a répondu : « Petit, tu es vivant ? Ça me fait bien plaisir d'avoir de tes nouvelles. Ton cousin est en ville, et sa maison est belle, Mais il n'est plus très jeune, et n'en sort pas souvent. Le vin qu'autour de lui ses amis vont buvant Autrefois fut raisin sous mon humble tonnelle, Mais nul ne bouge plus ma terre à coups de pelle, Et le seul à tailler mes branches, c'est le vent. J'entends autour de moi l'ample respiration Des campagnes dormant, sans hommes, sans passion, Sauf parfois d'une grive en pleine bacchanale. » Entendant ces propos tenus dans le lointain, Je demeure pensif, et ne suis pas certain De n'avoir pas rêvé, dans la brise automnale. |