encore un sonnet
Cochonfucius vu par Stéphane Cattaneo








Cette intervention prend la forme d'un sonnet.

S'agit-il d'un sonnet nocturne ? Peu importe.

le temps

Avec aucun organe on ne perçoit le temps.
D'ailleurs il ne se tient pas dans les phénomènes,
Il ne fait qu'émerger quand l'esprit se promène
Auquel en aucun cas il n'est pré-existant.

On ne le perçoit pas, on l'évalue, pourtant,
Il joue un rôle-clé dans beaucoup de domaines.
Est-il donc objectif, ou simple idée humaine ?
Trancher entre les deux, ce n'est pas important.

Il faut goûter le temps, ne pas le vivre en vain,
Voir qu'il est différent pour le buveur de vin,
Voir qu'il est transformé dans l'élan poétique.

Il faut laisser le temps partir et revenir,
Sourire à des projets et à des souvenirs ;
Ne pas en avoir peur : le temps est amnésique.


* * *


      Occam en vacances

      Est-ce la perception qui nous permet de voir ?
      C'est chose plus complexe, une interne écriture
      S'appuyant sur ce qui dans le cerveau perdure
      Et, petit à petit, constitue le savoir.

      Croire à l'inattendu serait presque un devoir,
      Si tu veux que ta vie demeure une aventure.
      Tu ne la connais pas sous toutes les coutures,
      Occam ne prête pas tous les jours son rasoir.

      Je me regarde vivre et je me vois mourir,
      Je ne crains pas ma mort, et je sais en nourrir
      Les modestes accents de ce petit poème.

      Merci à l'univers de m'offrir ces instants
      Où je ne suis pas trop à moi-même distant ;
      Merci, cher compagnon, de proposer ce thème.


   un an après

Un an vient de passer, bref comme une semaine.
Le temps n'est qu'illusion, disent les physiciens,
Moquant le « temps réel » des informaticiens ;
Année après année les mêmes jours ramène.

Sur les bords de ce lac où nul ne se promène,
Tu n'entendras chanter nul oiseau musicien :
Les a chassés de là un mauvais magicien
Qui décourage aussi toute présence humaine.

Ni ondine dans l'eau, ni licorne au bocage ;
Pas un centaure en marche au frais, sous les ombrages,
Pas de troll sous la feuille et pas même, un lutin.

Paysage embelli de ces mêmes absences,
Comme est noble l'hiver, comme est grand le silence,
Comme l'indiscernable est beau, dans le lointain.


* * *


un art de lire

Le sens d'une écriture, il est dans le regard
D'un lecteur appliqué à lire entre les lignes.
Dans son esprit limpide, il assemble les signes,
Et la révélation lui parvient, tôt ou tard.

S'il croit trouver parfois les effets du hasard
Dans une prose, et dit, avec un oeil qui cligne :
« Cet auteur nous soumet des jeux de mots indignes ! »,
Qu'il voie d'un peu plus près ce surprenant bazar

Où son application finira par trouver
De quoi être d'accord, de quoi désapprouver ;
Du sens, quoi qu'il en soit, appelant la réplique.

Exception : si l'auteur raconte un cauchemar
Venu le tourmenter au fond de son plumard ;
Les rêves ne sont pas des mots que tu expliques.






Un instant

Faire que chaque instant vibre, comme éternel ;
Flotter au fil du vent comme au ciel un nuage,
C'est de l'esprit humain le plus bel apanage
Dont il fait profiter son compagnon charnel.

Pas besoin pour cela de vieux calculs formels.
Juste fixer les yeux sur une belle image,
N'importe le format, portrait ou paysage,
Et suspendre le temps est un jeu naturel.

J'entends, tu me diras que c'est une illusion,
L'homme dans l'éternel ne peut faire intrusion,
Ce jeu n'arrête pas l'horloge meurtrière.

Laissez-moi y plonger, malgré tout, mon esprit.
Lorsqu'un homme médite, ou qu'il chante, ou qu'il rit,
Son âme est hors du temps et de la fourmilière.
   Du Bellay voit un cercueil

L'âme s'enfuit du corps avant d'être assouvie,
Comme un triste convive en allé au milieu
Du généreux festin que lui offrent les dieux,
Quand de si tôt partir il n'avait point envie.

Vous tous, dont la présence ainsi me fut ravie,
J'évoque votre image en passant par les lieux
Où nous allions ensemble, et je sens dans mes yeux
Comme un goût de pleurer sur mon restant de vie.

Nous ne chanterons plus, ni « Les copains d'abord »
Ni le refrain qui dit « Saint Eloi n'est pas mort »,
Ni le chant de Mandrin, ni d'autres ritournelles.

Perdant un camarade, on perd un peu de soi,
Mais ainsi va la vie, avec sa dure loi,
Existence fugace, et non pas éternelle.



Le Léman

Je me revois, enfant, sur le rivage
Du lac Léman, un jour où les nuages
Y reflétaient leur étrange beauté,
Blancs compagnons des cygnes enchantés.

Blanches étaient les voiles des navires,
Blancs les sommets chantés par tant de lyres,
Bleu sombre l'eau qui baignait les manoirs,
Bleu par endroits se rapprochant du noir.

Or, ce jour-là, je regardais mon père
Qui enseignait à nager à mon frère.
J'étais plus grand, et je savais la brasse.

Mon père dort dans l'ombre d'une église,
Mon frère vit loin de ma banlieue grise ;
Ton souvenir, Léman, reste vivace.