Sur Le mouvement perpétuel (Passage du Nord/Ouest,
215 pages, septembre 2004, ISBN 2-914834-11-X, 16 euros)
d'Augusto Monterroso par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




Movimiento Perpetuo              Qu'une mouche se pose sur le nez du pape, c'est plus probable que l'inverse. Cette sage remarque de Monterroso donne le ton du recueil, qui traite successivement des mouches, du mouvement perpétuel, de la fuite des cerveaux, des bénéfices et maléfices de Jorge Luis Borges, de la fécondité littéraire, des palindromes, de maris jaloux, de primates qui écrivent, de comment se débarrasser de ses livres, des bonnes, de la solennité, de la vie en commun, et de bien d'autres choses. Chacun de ces brillants essais est précédé d'une citation poétique sur les mouches, car ces messagères du destin sont censées fournir le fil conducteur de ce recueil hétéroclite. Les mouches, la poésie et une curiosité universelle : tels sont les ingrédients de ce curieux mélange.
       
Cet univers semble construit par une forme assez subtile de méditation. Trois pages esquissent un roman. Douze lignes tranchent de la condition du grand écrivain. Selon un fragment métaphysique de l'ouvrage, le monde est parfait, mais néanmoins confus, parce qu'il n'a pas encore été créé.


Cela explique beaucoup de choses. Admettons que le monde ne soit qu'une préfiguration onirique de ce qu'il sera, ou ne sera pas. Alors, certes, tout peut arriver, comme dans une nouvelle de Borges. Ainsi on peut tout croire, ou ne rien croire du tout, ou alterner ces deux postures.


Les contingences restent cependant bien astreignantes. Ainsi, à force de se procurer des livres, tout intellectuel se retrouve confronté au besoin d'en évacuer périodiquement quelques dizaines de son logement. Supposons qu'il faille en éliminer cinq cents. Il faut trouver quelques amis qui accepteront d'en installer chacun un certain nombre dans leur propres rayonnages. Au bout du compte, pas plus d'une vingtaine de livres ne trouvent preneur. Et encore, sur ce nombre, une partie regagne son domicile par la poste. Un problème, fort simple en apparence, se montre insoluble en définitive.


L'Homme est-il, de ce fait, un animal ridicule ? Souvent, il le devient, par son acharnement à jouer solennellement un rôle, être un poète officiel, un commentateur, un employé modèle. C'est pourquoi il lui faut prendre exemple sur les mouches, qui ne sont ni trop sérieuses, ni trop désinvoltes. Elles mangent de grand appétit. Leurs copulations sont exemplaires. Si elles sont prises dans une bouteille, elles ont recours à la pensée de Ludwig Wittgenstein pour en sortir.


Jean Jaurès affirme d'ailleurs que les grondements de haine que s'adressent mutuellement les hommes sont des bourdonnements de mouches, qui les empêchent de percevoir la voix profonde et divine de l'univers. Marcel Proust, en sens inverse, dit que le concert des mouches estivales est notre plus ancienne musique de chambre. Guillaume Apollinaire estime que leur formation musicale a lieu en Norvège. D'innombrables auteurs sont ainsi convoqués pour souligner l'importance de ces noires compagnes.


Ce collage de citations sur les mouches est partie intégrante du recueil, qui lui-même peut être vu comme un ingénieux assemblage de constituants soigneusement fignolés et ajustés les uns aux autres. Qu'on les examine au hasard, ou dans l'ordre où ils se présentent, c'est un émerveillement comparable à celui que l'on éprouve devant un beau jouet mécanique. C'est donc un livre à savourer joyeusement, avec ou sans la compagnie des mouches.