Un secteur clandestin de l'inframonde





la grande licorne n'écoute pas le poisson bavard de l'inframonde !              Alors que Cochonfucius explorait consciencieusement les entrailles de l'inframonde, il tomba dans une crevasse et se retrouva dans un secteur clandestin de cette partie de l'univers. Un chemin tortueux lui fit atteindre un secteur où se rencontraient des traces de pas. Ce sont celles de trois entités démoniaques, qui s'enfuient à sa vue. Elles alertent leurs directeurs de conscience. Ces derniers s'approchent prudemment de l'intrus, et finissent par dire : il est inoffensif.


L'un des arrivants se nomme Middlesquirrel en l'honneur de son oncle. Il n'a pas encore d'enfants, et décide donc d'adopter le Maître, à qui il donne pour nom « Poisson-Bavard ». Il signale cette adoption aux autres monstres, qui l'approuvent. Le Maître commence alors son apprentissage de poisson bavard dans la nuit. Les connaissances requises concernent les antipodistes de la bourgade, les chronophages du couloir, les thanatomorphes de l'humus, les hippopotames bivalves, les synthétiseurs d'oublis, les applaudisseurs de brèves, les tentacules magnétiques, les fourbes qui possèdent le diplôme correspondant, les ronds-points du crépuscule, les hantises de la vieillesse, les charges du mandarinat, les anneaux des reptiles, les évolutions implicites, les accords de la dernière minute, les rentes de l'alcoolisme, les victoires de la mesquinerie, les fiacres des banlieues sombres, les bulles de la toile, le colloque des animaux, les tiroirs de l'oubli, les ardoises de la bande d'ivrognes, les permanents de la militance, les croupes dans la brume, les malles des voyageurs, les animaux dont les noms sont en Helvetica, les inversions de température, les elfes de la lande, les approximations dans les mesures, les proportions des villes, les béquilles souples, les prunes jaunes, les dents des jolies filles, les allures du cheval, les soupes de la campagne, les usages de la force, les bestiaires du passé, les serpents troglodytes du marécage, les rectifications de la tortue de sinople, les monolithes du désert, les compteurs de l'usine, les arbres dont les racines ne portent pas les fruits, les avatars du merle, les avalanches de la nuit, les nobles du canton, les emballages de la boutique bleue, les emboutissages du plomb, les peintures du sépulcre et les dalles de la voie.

Une fois instruit de toutes ces choses, il s'embarque pour la ville la plus clandestine de l'inframonde. De là, il va remonter les cours d'eau, pour gagner les profondeurs ultimes du lieu sombre. Il chasse sa subsistance, et recueille les récits de personnages divers, notamment des lecteurs de Gotlib, car ils possèdent la sagesse absolue. Ainsi, il recueille des explications sur le principe d'incertitude, la variation des constantes et les anagrammes de métro aux auteurs innombrables. Sans doute a-t-il fait le recoupement, par la suite, avec celles de Jean-Baptiste Botul qui est l'auteur de nombreux traités sur ces questions. Botul a d'ailleurs pour lui une grâce de style qui fait que ses ouvrages n'ont rien de superflu.

Notre voyageur a bientôt l'occasion d'admirer des troupeaux de divers animaux hybrides et gracieux.

En fréquentant les humains des profondeurs glauques, Poisson Bavard finit par rencontrer un pratiquant de leur sorcellerie traditionnelle. Ce magicien a pour instrument une planche à pain, couverte d'un torchon à vaisselle sur laquelle sont tracées des figures sacramentelles. Muni de cet accessoire, il se livre pour commencer à quelques divinations, qui sont un succès. Le voyageur lui demande alors de faire venir de Noirciprose un pot de chambre, qu'il lui décrit. N'y parvenant pas, le mage se confond en excuses, disant : Si je pouvais disposer d'un pantodrome en état de marche, j'y arriverais peut-être.

Suit une visite à Scruik l'Escargot, dont une statue de pierre orne une île du lac Superglauque. Dans la mesure de ses faibles moyens, ce mollusque préside aux écosystèmes de la contrée.

Gagnant le bout du lac, Poisson-Bavard y consacre, pour laisser une marque de son expédition, une roche pour laquelle il crée le nom de Pseudomorphe, car elle semble avoir une forme, et n'en a pas vraiment. Sur ce bloc de pierre sont inscrits quelques vers signalant son passage. L'endroit étant peu fréquenté, Poisson-Bavard affirme que cette inscription sera surtout lue par les cloportes. (En fait, l'explorateur Ballus en prendra une copie, quelque temps plus tard).

Sur le chemin du retour, il rencontre un autre sorcier, qui se met pour lui dans une transe spectaculaire. Mais il n'a presque plus de force de divination, car il est insomniaque. Les voyageurs se contentent donc de lui tenir des propos soporifiques, pour voir s'il a la force d'y résister. Puis ils s'instruisent sur la vie domestique et sur les animaux.

Repassant par la ville de Rôtiputois, ils sont conviés à un grande cérémonie pour l'enterrement d'un brontosaure. Tout commence dans la solennité et la dignité, pour s'achever dans l'abus de boissons alcooliques et le fou-rire incontrôlable. Ces festivités se prolongent plusieurs jours, au cours desquels ils ont droit aux attentions bienveillantes d'une girafe éloquente qui dit mille choses pittoresques, et n'oublie pas de verser du vin à toute heure du jour. Puis ils gagnent un autre recoin du souterrain, ayant fait provision d'impressions exotiques pour bien des années.

Poisson-Bavard est par ailleurs d'un naturel conciliant, et n'entre jamais en conflit avec les Seigneurs de l'Inframonde. Toutefois, ils le surprennent un jour en train de parler avec un animal sentencieux et lourdingue. Ils décident alors de le renvoyer dans le monde ordinaire.

Vers la bascule cinquième du tourbillon septième, il aperçoit la sortie du tunnel magique. Il retrouve bientôt son camarade Yake Lakang avec qui il boit un litre de vin blanc.

Un petit ouvrage reproduit le témoignage qu'il donna lors de ce retour, sans ajout de considérations philosophiques ou autres. Comme tel, il ne manque pas de charme ni d'exotisme. C'est donc une contribution utile au corpus des récits de voyages et d'explorations, par lesquels notre imagination, à son tour, peut voyager.