Sur Le Voyage en Chine (Chandeigne,
528 pages, novembre 2001, ISBN 2-906462-66-7, 32 euros)
d'Adriano de las Cortes par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




Benedic, Domine, nos et haec tua dona, quae de tua largitate sumus sumpturi.              En février 1625, un missionnaire jésuite est en route pour Macao à bord d'un frêle esquif, qui se fracasse malencontreusement sur une côte hostile. Ce naufrage n'est que la première d'une longue série d'épreuves. Les habitants de ce coin perdu de Chine commencent par massacrer plusieurs des survivants. Les autres sont détenus arbitrairement pendant plus d'un an. Au terme de ce purgatoire, ils sont conduits jusqu'à Canton, où un bienveillant magistrat prononce leur mise en liberté. Adriano de las Cortes rédige alors l'histoire de cet infructueux voyage, assortie de nombreuses observations sur la vie quotidienne du peuple chinois.
       
Le père Adriano n'était pas censé vivre son sacerdoce en Chine. C'est ce qui fait la valeur de son texte : il découvre véritablement cet environnement, certes inconfortable, mais tout de même passionnant. Sa curiosité se tourne d'abord vers ses confrères, les bonzes. Comme on peut s'y attendre, il montre, envers ces personnages, une pitié condescendante. Ensuite, il aborde la question des repas. Certes, les malheureux captifs sont réduits à quelques bouchées de riz avec quelques minuscules morceaux de porc, de poisson et de légumes. Mais c'est aussi le cas des Chinois ordinaires. Les mandarins sont un peu mieux lotis, car, entre autres, ils boivent une sorte de vin. Mais dans l'ensemble, tout le monde est incroyablement sobre, en comparaison des Européens.

Suivent mille digressions sur la menace des tigres et comment s'en garantir, l'entraînement des soldats et leur misérable condition, la psychologie du Chinois moyen, la scolarité, la viande de chien, la viande de porc, les oies et les canards, la pêche au cormoran, les fruits, les légumes, l'architecture, le miel sauvage, la polygamie, les métaux précieux, le textile, le sucre, le paganisme, les plantes médicinales et les nids d'hirondelles.

Ces passages encyclopédiques sont efficacement construits. On sent la solide formation jésuitique, grâce à laquelle notre explorateur involontaire parvient à entrer dans les plus fins détails sans perdre de vue sa vision globale. En particulier, la situation économique d'un ménage ordinaire est magistralement analysée. Plusieurs pages exposent le rôle vital du jardin potager, le recyclage des déchets de toute espèce et tous les aspects de ce fragile bonheur domestique.

D'autres pages traitent de la puissance impériale, que ce soit sur le plan économique ou administratif. Espagnol de naissance, l'auteur n'est pas peu surpris de l'absence de grands seigneurs dans ce monde féodal. L'aspect totalitaire du système l'impressionne fortement. Comme l'étoile polaire, l'Empereur se tient au centre du dispositif, et tout gravite autour de sa personne.

En homme rigoureux, le père Adriano donne une liste des points qu'il n'a pas abordés, comme la diversité des corps de fonctionnaires, la forme des caractères de l'écriture, les formes de bouddhisme, et diverses coutumes qu'il n'a pas eu l'occasion d'observer. Il renvoie, pour ces sujets, aux écrits d'autres membres de son Ordre.

Le texte aborde ensuite la fin relativement heureuse du procès des intrus. Les autorités de Macao incitent celles de Canton à la clémence. Un retard survient du fait d'un changement de gouverneur, mais les audiences finissent par avoir lieu, et la captivité prend alors fin, ainsi que la première partie de l'ouvrage.

La seconde est, pour l'essentiel, un magnifique recueil de dessins qu'effectua un peintre chinois de Manille d'après des esquisses du père Adriano. On y admire quelques dizaines d'objets, d'animaux et de personnes ayant fait l'objet de descriptions dans la première partie de l'ouvrage. Toutes ces figures ont des notes explicatives. D'autre part, un appendice aborde la question de la chrétienté chinoise, mais on sent que l'auteur peine à en dire quelque chose de positif : il ne l'a pas rencontrée. De plus, nous ne possédons que le début de cette annexe, et nul ne sait si la suite existe.

Tel qu'il se présente dans son ensemble, l'ouvrage est une merveilleuse ressource, encore enrichie par une solide introduction et d'utiles notes finales de Pascale Girard, qui a également construit une bibliographie et trois index. Il y a là de quoi effectuer un beau voyage en Chine et dans le temps.