Sur Voyage au Mexique 1858-1861 (Ginkgo, 355 pages,
août 2004, ISBN 2-84679-001-9, 19 euros)
           de Désiré Charnay, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


danseurs de sable                 Charnay, jeune homme de bonne famille, fut un des premiers experts en photographie, chose qui, en ce troisième quart du dix-neuvième siècle, ne représentait pas une mince affaire : appareils pesants et encombrants, plaques fragiles, solutions chimiques aux réactions capricieuses. Mais cet aventurier ne manquait pas de débrouillardise, ni d'audace. Il soumit donc au ministère de l'Instruction publique, en 1857, le projet d'un tour du monde photographique dont la première étape serait le Mexique. Les circonstances firent que ce fut aussi la dernière, mais suffisamment riche en péripéties pour donner la matière d'un gros et bel ouvrage.

           Le document est embelli par d'impressionnantes prises de vue effectuées au cours de la mission, et de dessins qui s'en inspirent. Il est volumineux, car Charnay, en plus des faits concernant son voyage proprement dit, y note de multiples anecdotes à propos des habitants des diverses régions où il séjourne. Il tente de caractériser leur psychologie individuelle et collective. Pour cela, il amalgame ses propres observations aux récits qu'il peut recueillir. C'est la méthode qu'autrefois illustra Hérodote.

           Ce n'est pas l'attitude la plus rigoureuse à adopter lorsque l'on entreprend une description du monde, mais cela introduit du mouvement et de la couleur dans le texte. Par ailleurs, l'auteur indique scrupuleusement si c'est lui qui fut le héros de telle ou telle péripétie, ou si on la lui a rapportée, et dans quelles conditions.

           Le Mexique, à cette époque, est en pleine agitation. Des troupes françaises occupent certains secteurs stratégiques, afin d'aider à maintenir un semblant d'ordre et de croissance, mais cela ne leur gagne nullement l'estime du peuple. Charnay montre une certaine innocence en faisant confiance à Napoléon III pour mener à bien cette mission d'assistance, dont nous savons aujourd'hui qu'elle finira fort mal.

            Mais revenons au point central  : les prises de vue. Les trois appareils photographiques voyagent au rythme lent d'une charrette, et rejoignent aux étapes notre voyageur, qui progresse à cheval. Cela lui laisse le temps de reconnaître les lieux, et d'entendre les légendes amérindiennes qui leur sont associées, et qui souvent parlent de fabuleux trésors à extraire des ruines (cependant, il n'en trouvera pas un seul). La guerre civile complique la tâche de notre explorateur, bien qu'il soit muni de laissez-passer des deux partis qui s'affrontent. Il regarde d'ailleurs avec une certaine ironie les raisons politiques du conflit, et les perpétuels changements de camp des simples soldats.

            Cependant les violences de la guerre sont réelles, et lorsqu'une de ses étapes le conduit à la capitale, notre voyageur s'aperçoit qu'il y passe pour mort depuis trois mois, et qu'un artiste s'apprête à envoyer à l'hebdomadaire L'Illustration un dessin de cet assassinat. Charnay le persuade de n'en rien faire, ou tout au moins, de modifier la scène.

           Ensuite, ayant fait la connaissance du président Juárez, il poursuit son chemin à travers le Yucatán, où il photographie la sublime procession du Vendredi Saint à Merida ; puis il fixe sur ses plaques les palais de Chichén-Itzá, d'Uxmal et de Palenque. Il apprend à bien tenir les chevaux et les mules. Il croise des reptiles, des singes, et un ara du plus beau rouge, qui devient son fidèle compagnon de route. Il place un sage exergue sur sa relation de voyage :

           Un pays est un livre que chaque voyageur a le droit de commenter à sa manière, en s'appuyant sur la vérité.

           L'archéologue américaniste Pascal Mongne, professeur à l'Ecole du Louvre, enrichit le texte de Charnay d'une présentation et de notes érudites et sobres, qui éclairent le contexte d'apparition de ce passionnant récit, et notamment, la connivence entre Charnay et Viollet-le-Duc, qui conduisit ce dernier à rédiger son essai Les Antiquités américaines en guise d'introduction au Voyage au Mexique.

           Enfin, un glossaire, une bibliographie et une carte du Mexique permettent de mieux suivre et apprécier cet itinéraire d'un découvreur enthousiaste, qui a laissé son nom comme voyageur, comme photographe et comme narrateur.