Sur Le facteur climat (J. C. Lattès, 354 pages, août 2004, ISBN 2-7096-2530-X)
    d'Erik Durschmied, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres

titre original : The Weather Factor


the weather factor, le facteur climat

       

      Durschmied, grand amateur de récits de batailles, mais aussi auteur de reportages sur les conflits actuels, nous présente ici un dossier sur un thème bien précis : le rôle des intempéries dans l'issue de quatorze de ces batailles, et non des moindres. Que ce soient le froid des plaines de Russie, les cyclones tropicaux ou les soudaines éclaircies au plus fort de la tourmente, l'homme n'a pas de pouvoir sur les éléments.

      Lorsque les conditions, sur terre ou sur mer, deviennent invivables, aucune stratégie ne tient plus. C'est d'ailleurs un matériau de choix pour l'histoire-fiction.

       


      Si, par exemple, l'on examine les relations entre l'Empire Romain et les peuples germaniques, il y a un avant et un après le onze septembre de l'an neuf de notre ère. En effet, à cette date, le chef germain Arminius put anéantir trois légions entières, que commandait Publius Quinctilius Varus. Mais son principal allié dans cette affaire ne fut autre qu'un monstrueux orage, qui transforma en bourbier le sol où devaient progresser les Romains et abattit sur eux les plus grands arbres de la forêt. Il est donc tentant pour un auteur d'histoire-fiction d'imaginer un onze septembre ensoleillé, une victoire des légions, une Germanie romaine, et tout ce qui s'ensuit.

      Ce n'est pourtant pas le propos de Durschmied. Sa démarche, plus pédagogique, vise à donner au lecteur une perception fine de l'action qui eut lieu, avec ses retournements, avec les contraintes géographiques, les effets des imprudences humaines, et, souvent, le sentiment, chez le vainqueur, d'avoir reçu une assistance divine.

      Après l'histoire d'Arminius et Varus, l'ouvrage en expose treize autres, dont trois naufrages de flottes "invincibles", quatre épisodes de pluies violentes ou persistantes, trois de grands froids, et trois où le temps change plus ou moins providentiellement. Les dates choisies concernent pour moitié le vingtième siècle, et s'échelonnent, pour l'autre moitié, du Moyen Age à 1849.

      Cette date de 1849 se rapporte à la fin de la grande famine irlandaise, due à la destruction des récoltes de pommes de terre. Les intempéries ont en effet joué un rôle majeur dans ce désastre écologique et humanitaire. Comme dans chaque chapitre de l'ouvrage, Durschmied en examine avec soin les tenants et les aboutissants, tout en conservant un ton de narrateur presque familier, qui en rend la lecture attrayante.

      L'ouvrage comporte des cartes fort lisibles, une bibliographie sobre mais éclairante, et un curieux chapitre de prospective, dans lequel l'auteur s'interroge sur la possibilité de se rendre partiellement maître du climat dans l'avenir, par manipulation de l'atmosphère ou des courants marins.

      Le point fort de ce livre est que, tout au long de chacun des épisodes tragiques qui en font la matière, l'auteur concilie deux approches complémentaires : celle du responsable d'un dossier, et celle du romancier. Autrement dit, il apporte à la fois les éléments factuels qui permettent de comprendre la situation, et les touches personnelles qui nous communiquent ce que ressentent les acteurs de cette même situation.

      Il faut retenir de cette lecture que la notion couramment admise de géopolitique serait incomplète, si on ne la pensait pas comme astreinte aux diverses sciences de l'environnement, écologie et météorologie en premier lieu. Cet enseignement est fait à partir d'exemples bien choisis, ce qui le rend digeste et efficace.