Sur L'Autre Voyage De Phileas Fogg (Terre de Brume, 237 pages, septembre 2004, ISBN 2-84362-245-X, 18 euros)
    de Philip José Farmer, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres

titre original : The Other Log of Phileas Fogg


The Other Log of Phileas Fogg, L'Autre Voyage De Phileas Fogg

       

             Admirateur de Jules Verne dans son enfance, et particulièrement du Tour du monde en quatre-vingt jours, Philip J. Farmer, devenu à son tour auteur de science-fiction, en écrit une exégèse. L'aventure de Phileas Fogg acquiert une dimension cosmique. En effet, les rares parties de son voyage qui, selon Jules Verne, se sont déroulées paisiblement, dissimulent, selon Farmer, des péripéties d'une nature inavouable, sur lesquelles tous les détails sont fournis par un carnet secret tenu par Fogg en personne.

      Le lecteur se souvient peut-être que dans l'ouvrage de Jules Verne, Phileas Fogg entreprend son voyage à la suite d'un pari amical, et qu'un détective lui met des bâtons dans les roues, car il le prend pour un voleur en fuite. (Pour ceux qui n'ont pas Verne en mémoire, Farmer effectue tous les rappels utiles).

      Le carnet secret de Fogg est écrit en éridanien. Seule, explique Farmer, la découverte d'un manuel de cette langue à l'usage des anglophones a permis de le consulter, vers 1973.

       
       Fogg appartient en effet aux deux cultures : Anglais de naissance, Eridanien d'adoption, il coule des jours sans nuages, jusqu'à l'instant crucial où, sous la trompeuse apparence d'un partenaire de jeu de cartes, son supérieur dans la hiérarchie éridanienne lui donne, au moyen des cartes à jouer elles-mêmes, l'ordre d'aller aux Indes.

      Qui sont les Eridaniens et pourquoi l'urgence d'aller aux Indes ? Les Eridaniens sont des extra-terrestres civilisateurs dont la noble mission est en train d'échouer pour deux raisons. Premièrement, ils sont si peu nombreux que leur influence sur la vie des Terriens lambda est quasi inexistante. Deuxièmement, ils ont pour adversaires d'autres extra-terrestres civilisateurs, les Capelléens, dont le plus illustre, un certain capitaine Nemo, se livre impunément à la piraterie, étant à cette date le seul capitaine d'un sous-marin en ordre de marche.

      Pourquoi les Indes ? Tout simplement parce que, dans les glauques profondeurs du sous-continent, un rajah indépendant, (extra-terrestre, bien entendu), détenteur d'un appareil de haute technologie, veut s'en servir contre l'Empire Britannique, au risque d'une déstabilisation planétaire. La ruse consiste à faire semblant d'effectuer le tour du monde, et à liquider au passage le trublion, sans oublier de sauver l'espionne qui, de ce fait, deviendra sa veuve éplorée.

      Et que peuvent les Capelléens contre cela ? L'un des leurs, se faisant passer pour un détective, suivra Fogg pas à pas, cherchant à faire échouer tous ses plans. Mais Fogg a recruté l'Eridanien français Passepartout, qui, comme son nom l'indique, ne craint nul obstacle, terrestre ou extra-terrestre.

      Conscient que le "détective" Fix ne fera pas le poids contre Fogg et Passepartout (surtout lorsqu'ils s'adjoindront un éléphant adulte), le Capelléan Nemo décide d'intervenir personnellement, et joue sur le fait qu'une bonne partie du trajet de Fogg se fait en mer, où, en principe, il dispose d'une totale supériorité.

      Mais Fix est victime du syndrome de Stockholm, Nemo sous-estime Passepartout et la veuve du rajah, et surtout, Fogg a jadis fait partie, grimé en Dublinois, de l'équipage du Nautilus pendant une longue période. La version de Farmer finit donc à l'avantage de Fogg, tout comme celle de Jules Verne. Les horloges londoniennes sonnent à neuf heures moins dix du soir, chose pour laquelle, contrairement à Verne, Farmer donne une explication claire et plausible. L'humanité, sans d'ailleurs en avoir eu le moindre soupçon, est sauvée in extremis. Fogg et Passepartout prennent une retraite bien méritée.

      Cet ouvrage appartient à une catégorie intermédiaire entre la parodie et le pastiche. Le capitaine Nemo de Philip J. Farmer, comme le Jules César des albums d'Astérix, est quelque peu caricatural. Cependant, et mieux qu'une parodie ou qu'un pastiche, ce livre constitue un authentique hommage à la mémoire de Jules Verne, car il relève le défi suivant : il respecte à la lettre les données du roman original, et parvient à y greffer une intrigue non seulement plausible, mais captivante au fil des pages.

      Une relecture du Tour du monde en quatre-vingt jours est certainement souhaitable, juste avant ou juste après celle du récit de Farmer. C'est l'occasion de constater un rare phénomène de mise en valeur mutuelle de deux beaux textes, à un siècle d'intervalle : 1873 pour Verne, 1973 pour Farmer. Trente ans ont encore passé depuis, et le plaisir de cette double lecture reste intact.