Inventaire des bibelots de Yake Lakang





un bibelot peut en cacher un autre             Dans ce catalogue, dont une première version, plus brève, avait paru il y a longtemps, Cochonfucius nous décrit les multiples bibelots qui encombrent le bureau de Yake Lakang qui est homme de paroles et de sagesse ineffable et transcendante. Davantage qu'un inventaire, c'est un parcours poétique haut en couleurs. Des amulettes, une balance, plusieurs coquillages, divers oracles, une philosophie onirique et force questions figurent, entre autres, dans ce bric-à-brac enthousiasmant. En guise de postface, une rubrique intitulée Pour la route contient une sélection d'aphorismes sapientiaux.
       
Les images présentées au fil de ces pages sont parfois monstrueuses. Mais, rétorque Yake Lakang, c'est d'abord la réalité qui est caricaturale. Il faut la fuir comme on peut. C'est difficile, car elle forme des impasses. Alors, il faut briser les codes. Et pour cela, tous les moyens sont bons : détournements, hybridations, assemblages et parodies, lesquelles vont jusqu'à l'instauration d'une religion nouvelle, dans le livre des flammes. Certes, elle n'a aucun adepte, mais de bien beaux accessoires de culte.

Ce recueil contient peu de texte, juste ce qu'il faut pour situer chaque entrée lexicographique en termes du rôle qu'elle joue dans le territoire de Lakang. Ainsi les Mémoires sont pour se perdre, les Ombres sont à suivre et les Portraits sont des avatars. Ce sont donc les images qu'il faut lire. Quelques-unes sont des portraits du Maître à diverses époques de sa carrière. Les autres sont des reproductions de ses objets de prédilection.

Il s'agit, le plus souvent, de figurines évoquant un cauchemar monstrueux. Dans certains cas, un animal hybride tourmente un artisan qui n'en peut mais. D'autres animaux semblent parler sentencieusement à un interlocuteur perplexe. En d'autres occasions encore, c'est l'anatomie humaine qui prend un aspect insoutenable. Le Livre des Flammes, ci-dessus mentionné, sert à chauffer les plats. Un garde impérial en uniforme tient lieu de siège au cabinet d'aisance. Une poire se prend pour la reine de Cluny. C'est le carnaval des monstres.

Le sourire n'est pas absent de ce monde glauque. Une page ne porte qu'un simple trait vertical approximatif. Explication : c'est un document important dont on ne voit que le profil. Plus loin, des animaux volants inspirent au Maître une chanson :



Pelgranes

D'un cauchemar éploré
Tremble un pelgrane tigré ;

Auprès de lui, mort de rire,
Un pelgrane de porphyre ;

Un pelgrane ivre d'opium
Dort au fond de l'aquarium ;

Un pelgrane un peu plus sage
S'alimente de feuillage ;

Un pelgrane noir s'endort
Sur un tas de poissons morts ;

Un pelgrane chrétien prie
La douce vierge Marie ;

Un pelgrane à forte voix
Fait retentir les grands bois ;

Un pelgrane sybarite
Est maudit par Aphrodite.

(J'avais cru voir des pelgranes,
Mais ce ne sont que des ânes).




Ailleurs, le gyrovague surgit burlesquement dans un pantodrome d'allure modeste.

Au total, cette collection d'images et de textes, intelligemment articulée et bien équilibrée, constitue une bonne introduction à l'univers de Yake Lakang. Elle en exhibe la tonalité inquiète et moqueuse. Elle nous plonge dans les brumes oniriques dont le Maître fait son environnement quotidien. Discrètement, elle évoque aussi la camaraderie qui existe entre Cochonfucius et Lakang. C'est donc le panégyrique d'un grand penseur, qui mérite bien ce témoignage d'admiration.