Sur Récit d'un voyage à pied à travers la Russie (Ginkgo, 265 pages, mars 2003, ISBN 2-84679-008-6, 19 euros)
      de John Dundas Cochrane, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


illustration de couverture, 'la poste aux chiens des Kamtchadales', E. Korneev, 1813

       

      Ce volume nous présente les notes de voyage d'un marin anglais qui, en l'absence de combats sur mer, vagabonde par les chemins terrestres.

      Cochrane débarque à Dieppe en février 1820, avec l'espoir de traverser à pied l'Europe, l'Asie et l'Amérique. Des circonstances imprévues lui feront rebrousser chemin, quelque part dans la péninsule du Kamtchatka. Il regagne Londres en 1823. Certes, sa fantastique errance lui a coûté quatre paires de chaussures, mais il rentre au pays porteur d'une montagne de pages de son Journal de Voyage, et accompagné d'une jeune et charmante épouse kamtchadale.

      Fort raisonnablement, la présente édition abrège certains chapitres de l'ouvrage, car Cochrane a un sens du détail incroyablement minutieux, et note en quoi a consisté chacun de ses repas au cours de ces trois longues années, et autres observations certes instructives, mais fastidieuses à la longue.

       

      Ce lent parcours commence donc en Normandie, suivi d'une escale à Paris, où il ne s'attarde guère, car, précise-t-il, c'est une ville stupide. Il subit des fortunes diverses en Allemagne. Il est mal accueilli en Prusse, sauf quand c'est à Berlin. Certes, il n'aime pas les grandes villes, mais c'est toujours là que les lettres de son oncle amiral à de hauts protecteurs le précèdent, donc il se résigne à y séjourner de temps en temps.

      En Russie, et plus encore en Sibérie, il est à la merci du froid, des voleurs, et parfois de villageois fort peu aimables envers les intrus comme lui. Il prend tout cela avec le sourire, avance un peu chaque jour et profite occasionnellement d'un véhicule ou d'une embarcation. A plusieurs reprises, il est charmé et troublé par la présence de telle ou telle jeune femme à ses côtés, lors d'une étape.

      Il triomphe d'obstacles qui semblaient infranchissables : terres enneigées, fleuves qui grondent, populations malveillantes. Lorsqu'il aborde, un peu affaibli, au port de Petropavlovsk, il est heureux d'y trouver plusieurs bons compagnons, marins comme lui, et un chef aborigène qui finit par lui accorder la main de sa fille.

      Son aventure change alors de caractère. De vagabond libre d'entraves, le voilà devenu jeune marié, et son bonheur n'est pas vécu sans une pointe de regret. Il reprend néanmoins la route, en plus lourd équipage qu'à l'aller. Un peu mélancolique, il revoit les lieux de son errance. Enfin, dans son logis londonien, il recopie ses carnets de route, et en tire, entre autres, la conclusion suivante : le voyage est une aventure, il faut s'en remettre aux rencontres, et au bon vouloir des populations. C'est plus facile à un solitaire et à un pauvre, pourvu qu'il s'y connaisse en hommes, et qu'il accepte les leçons qu'il recevra sur son chemin.

      Au total, cet ouvrage est de ceux qui réconfortent le lecteur. Il est plaisant de s'identifier à ce modeste promeneur, qui suit sa route, sans rien exiger, sans rien refuser, et qui trouve, au soir venu, la force d'écrire ce qu'il a vu, jour après jour. C'est ce qui a conduit John Keay à faire figurer Cochrane au rang des voyageurs extraordinaires. Même si son livre est moins prodigieux que son voyage, il vaut le détour.