Sur Le voyage de trois cosaques au royaume des Eaux Blanches (L'inventaire,
205 pages, février 1996, ISBN 2-910490-05-X, 16,80 euros)
de Grégoire Khokhlov par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




trois cosaques             En 1667, un concile de l'Eglise Orthodoxe de Russie anathématise et excommunie les vieux-croyants, prêtres et laïques ayant refusé certaines réformes de leur religion. Certains d'entre d'eux deviennent alors des nikoudychniki, gens de nulle part, chrétiens sans clergé. Par la suite, ces communautés développèrent, au fil des décennies et des siècles, une vision utopique du monde, selon laquelle, en certains lieux du monde, leur « vraie foi » subsisterait, avec de belles églises et de saints évêques. Mais sur quel continent ? Seules des rumeurs tentent de répondre à cette interrogation.


C'est pourquoi, le 25 janvier 1898, dans la ville de Kirsanov, une assemblée décide d'envoyer trois cosaques à la recherche de ce séjour bienheureux. Les trois élus se nomment Onésime Barsonophée Barychnikov, Boniface Danilovitch Maksimytchev et Grégoire Térentiev Khokhlov, ce dernier étant chargé de rédiger un document pour raconter le déroulement de la mission.

Nos voyageurs vont s'embarquer à Odessa pour Istanbul. Ils y passent une semaine remplie de découvertes, et se font établir par les autorités ottomanes un permis de voyage, car ils veulent voir, chemin faisant, le mont Athos, Salonique, Smyrne, Chypre et Jérusalem. Ils visitent notamment le tombeau de Saint Dimitri et, sur l'île de Patmos, la grotte qui abrita Jean l'évangéliste lorsqu'il écrivit son Apocalypse.

Près de la ville de Larnaka, sur l'île de Chypre, ils admirent une icône de la Vierge Marie, peinte par Luc l'évangéliste. La route continue, passant par Beyrouth, Jaffa et Jérusalem, puis Port-Saïd. Au bout du canal de Suez, c'est la Mer Rouge. Selon une légende russe, il en surgit de nombreux pharaons morts-vivants qui demandent aux passagers des navires si la fin du monde est proche. Ouvrant scrupuleusement leurs yeux, nos cosaques ne voient rien de tel.

L'Océan Indien, une escale à Colombo, Singapour : toujours pas de paradis des orthodoxes. Serait-ce près de Saïgon ? Ils y vont et font chou blanc, de même qu'à Hong-Kong, Shanghai et Wuhan. Ils s'instruisent sur la fabrication du thé, sur le bouddhisme et les superstitions, et poursuivent obstinément leur quête, bien que le scepticisme finisse par les gagner. Ils font une dernière tentative au Japon. De là, ils regagnent l'Empire russe, au port de Vladivostok. Tantôt par voie ferrée, tantôt en naviguant sur le fleuve Amour et le lac Baïkal, ils regagnent leur point de départ.

Sur un certain plan, la mission est un échec, cela ne fait aucun doute. Et pourtant, on sent chez Khokhlov, au fil des pages, l'éveil d'un nouvel esprit critique. Plus il discute avec ses compagnons, plus il comprend que certaines « informations », sur la base desquelles leur mission fut décidée, n'étaient que des rumeurs. Ils apprennent à mieux interpréter ce qu'ils voient, ce qu'ils entendent et ce dont ils se souviennent.

Cet ouvrage nous présente donc un véritable voyage initiatique, comme le soulignent Vladimir Korolenko, le préfacier, et Michel Niqueux, traducteur et annotateur. C'est un document qui nous confirme que Russie rime avec poésie et Utopie.