Sur Un aventurier anglais au Brésil (Chandeigne,
318 pages, juin 2003, ISBN 2-906462-64-0, 25 euros)
d'Anthony Knivet par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




Les éditions Chandeigne offrent des voyages dans le temps              En 1591, Anthony Knivet s'embarque, dans l'équipage de Thomas Cavendish, afin de gagner les mers du Sud. Dès les premiers jours de cette navigation, surviennent les péripéties les plus contrariantes : calme plat, scorbut, disputes à bord. Enfin le vent de Nord-Ouest se lève, et les cinq vaisseaux de Cavendish abordent à l'Ile Grande. De cette base, nos corsaires rejoignent la ville de Santos, dont ils s'emparent pour une durée de deux mois. Ils vont jusqu'au détroit de Magellan, où ils ne rencontrent que des déboires, dans le froid et les vents contraires. Repassant par Santos, de nombreux membres de l'équipage se font massacrer par les soldats portugais, mais Knivet parvient à se constituer prisonnier. Il est alors conduit à Rio de Janeiro.


Le gouverneur de Rio confie Knivet à un aimable proprétaire terrien, qui lui donne un troupeau de porcs à surveiller. Cette bonne vie dure trois mois seulement. Il est ensuite affecté à de rudes tâches de manutention dans un moulin à sucre, pour trois nouveaux mois. Rejetant cet esclavage, il se dissimule pendant sept mois dans une grotte profonde, se nourrissant de poisson et de racines. Repris, il doit creuser la terre dans un champ de navets, puis c'est à nouveau la corvée de sucre. Enfin Martim de Sá, fils du gouverneur, le prend pour serviteur pendant deux ans, au bout desquels il l'envoie en mission auprès d'un chef sauvage de l'ethnie Puri.

A cette occasion, les villageois se battent contre leurs voisins, qui auraient voulu mettre à mort l'intrus Knivet. Il retourne à Rio, tente de rejoindre un vaisseau anglais et se fait condamner à la pendaison. Mais les Pères Jésuites intercèdent en sa faveur. Il réintègre son moulin à sucre et commet une nouvelle désertion, à l'issue de laquelle il retrouve le bon chef de village qui l'avait accueilli et protégé. Au bout de neuf mois, il se fait reprendre par Martim de Sá, qui lui ordonne d'accomplir une nouvelle mission en terre sauvage, le renvoie ensuite à Rio, et l'utilise comme mercenaire dans une guerre entre cannibales.

A l'issue de cette campagne, il recrute, pour son propre compte, douze soldats portugais et part en expédition vers les mers du Sud. Sur leur chemin se dresse une montagne, qu'ils franchissent en faisant flotter un radeau dans le courant d'une rivière souterraine. A la sortie du tunnel, des cannibales se jettent sur eux et dévorent les douze Portugais. Mais ils épargnent Knivet, l'ayant pris pour un Français. (Un demi-siècle plus tôt, la même méprise avait sauvé Hans Staden chez les Tupi). Il devient leur guide, et les conduit vers la mer. Mais une fois de plus, Martim de Sá survient et le renvoie à la corvée de sucre, et autres tâches effrayantes ou humiliantes.

Cette fois, c'en est trop pour Knivet. Il s'embarque en secret sur un navire partant pour l'Angola, puis sur un autre, qui remonte le cours du fleuve Kwanza. Notre fuyard se terre dans la ville de Massangano, mais ses maîtres brésiliens obtiennent son rapatriement et lui souhaitent ironiquement la bienvenue à son retour sur leurs terres. Suivent d'autres avanies, qui prennent pourtant fin en 1599, lorsque le vieux Salvador Correia de Sá, père de Martim, est admis à la retraite, et gagne Lisbonne en compagnie de notre héros. Non sans difficulté, ce dernier parvient alors à s'en retourner en Angleterre, où son récit est soigneusement recueilli par sir Robert Cecil, secrétaire de la Reine Elisabeth Ire. C'est ainsi qu'il fut transmis à la postérité.

En plus de cette narration, Knivet livre d'innombrables observations sur les rites et superstitions des anthropophages, sur les colloques de singes hurleurs, sur la façon de s'emplumer le corps et sur les métaux précieux. Il conclut son témoignage par une série de descriptions des approches maritimes du Brésil.

La traductrice, Ilda Mendes dos Santos, éclaire l'ouvrage par une passionnante introduction et des notes instructives.

Outre l'introduction, le récit principal et les notes, cet ouvrage inclut divers documents dont la consultation enrichit la lecture. Tout d'abord, deux cartes fort précises indiquent les parcours que suivirent, d'une part, Knivet lui-même, d'autre part, ses persécuteurs portugais et cannibales. Ensuite, six pièces annexes, qui sont des témoignages de contemporains de Knivet. Thomas Turner, navigateur, parle de la faune et de la flore du Brésil. Le père jésuite Fernão Cardim décrit l'état des missions autour de Rio. Francisco Soares, commerçant, évoque la figure du gouverneur Salvador Correia de Sá. Wilhelm Glimmer, explorateur, fait mention de la recherche de l'or. Baccio di Filicaya, gentilhomme et architecte florentin, raconte ses exploits militaires. Enfin, Manuel Juan de Morales, souvent présenté comme un espion, dénonce les manières peu aimables des habitants de São Paulo. Ces six documents favorisent les opérations de recoupement avec ce que dit Knivet, ce qui permet de mieux le situer parmi les acteurs de ce moment charnière de l'Histoire.

L'ensemble constitue un excellent matériau pour la découverte du monde colonial à l'époque des premières explorations.