Sur Le labyrinthe (Viviane Hamy, 236 pages, octobre 1996, ISBN 2-87858-073-7, 21, 20 euros)
de Jens Baggesen, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


'En bateau'                Jens Baggesen, poète danois, s'éloigne de Copenhague en 1789 pour voir Kiel, Hambourg, Göttingen, Francfort, Strasbourg et Bâle. Il appelle cette route un labyrinthe parce que ses pensées ne cessent de vagabonder par d'autres chemins que celui qu'il s'efforce de suivre. Pour se guider dans ce vagabondage, il adopte douze commandements personnels qui peuvent se résumer de la façon suivante : aller vers le Sud, méditer souvent, lire les auteurs antiques, tenir un journal, rencontrer des hommes excellents, se lever tôt, bien travailler, aller à pied, boire du bon vin, n'avoir aucune lettre de recommandation, n'imiter personne et, last but not least, se sentir partout chez soi. Fort de cette autodiscipline, notre héros ira de découverte en découverte, dans une Europe émue par les premiers grondements de la jeune Révolution Française.
       


Au cours de son errance, Baggesen fréquente effectivement des hommes remarquables, comme l'immense Friedrich Gottlieb Klopstock, pour ne citer que lui. Ce grand homme est aussi un citoyen jovial, et un partisan de la liberté. Pour honorer son visiteur, il apprend à lire le danois et s'intéresse à plusieurs poètes de ce petit royaume. Suivent de savantes conversations sur les trois grands plaisirs de l'homme : le plaisir du repos, le plaisir de la renommée et le plaisir de l'immortalité.

Parcourant à pied la lande de Lunebourg, il est rejoint par un huguenot en calèche, avec qui il engage un débat de pure métaphysique sur le café, la mort, la frustration et autres joyeusetés. Dans la ville de Celle, il s'agenouille sur la tombe de l'infortunée reine Caroline-Mathilde du Danemark, persécutée pour adultère.

Aux sources thermales de Pyrmont, il retrouve un de ses camarades, le jeune comte Moltke, que des malheurs ont rendu neurasthénique. Les deux amis s'apportent un réconfort mutuel, puis tissent des liens avec maints érudits au charmantes manières.

Quittant Pyrmont, il traverse Göttingen plein d'étudiants chahuteurs, et c'est à Friedberg qu'on lui annonce la prise de la Bastille. Avec ses compagnons de voyage, il évoque la fin possible des monarchies et l'émergence d'un monde absolument nouveau. Cela leur semble apocalyptique.

Puis il navigue sur le Main et sur le Rhin, de Francfort à Mayence, en une compagnie fort mêlée. Dans la ville de Worms, il revit la dure confrontation de Martin Luther avec Charles Quint. Il arrive à Strasbourg où se dresse l'imposante flèche unique de la cathédrale, qu'il escalade jusqu'à son périlleux sommet. Il reprend alors des forces à l'auberge du Saint-Esprit, devenue « restaurant de l'Esprit » pour cause de patriotisme révolutionnaire. Dans ce haut lieu de la boisson forte, il voit comment le vin rend les Français spirituels et comment le rhum rend les Anglais lourdauds.

Son équipée se termine par une rapide traversée de l'Alsace, et l'entrée dans la ville de Bâle, sur laquelle il prend congé de ses chers lecteurs. L'impression globale que produit cette relation de voyage est celle d'une pétillante conversation avec l'un des beaux esprits du temps jadis. Les paysages défilent, les arguments s'épanouissent, les points de repère s'estompent dans une danse perpétuelle. C'est le labyrinthe promis par le titre, et qui vaut bien d'être parcouru à loisir.