Sur Comprendre les langues romanes -- du français à l'espagnol, au portugais, à l'italien et au roumain : méthode d'intercompréhension (Chandeigne,
396 pages, octobre 2004, ISBN 2-915540-01-2, 25 euros)
sous la direction de Paul Teyssier par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




Les langues romanes se ressemblent plus qu'on ne croit              Cet ouvrage a été élaboré par une équipe de romanistes, avec, notamment, la collaboration de Romana Timoc-Bardy pour le roumain. L'édition en fut coordonnée par Jacqueline Brunet et Jack Schmidely.

Tout au long de vingt et un chapitres et de trois annexes, les particularités de la langue française sont mises en perspective dans un espace qui inclut les usages actuels de l'italien, de l'espagnol, du portugais et du roumain.


De propos délibéré, l'évocation de la langue latine est réduite à un strict minimum, d'abord parce que peu de lecteurs le pratiquent, ensuite parce que les auteurs raisonnent en synchronie, autrement dit, pour une époque donnée (ici, la nôtre). Or, une prise en compte du latin passe plutôt par la diachronie, c'est à dire par une perspective temporelle englobant diverses périodes.

De plus, le français est placé au centre de ce dispositif, comme pourrait d'ailleurs l'être chacune des quatre autres langues, dans des versions de l'ouvrage qui s'adresseraient respectivement aux étudiants de ces quatre communautés.

Dans son avant-propos, le Danois Jørgen Schmitt Jensen, de l'Université d'Aarhus, explique comment son expérience de l'intercompréhensibilité de sa langue avec le norvégien et le suédois lui inspira le projet qui est à l'origine de ce livre, et qui a, dès 1992, fait l'objet d'un programme scientifique de la Maison des Sciences de l'Homme à Paris.

Pour se faire une idée de la démarche adoptée par son groupe de travail, et des résultats obtenus, il est instructif d'examiner la structure globale du « traité d'intercompréhension » sous sa forme achevée.

Les premières pages expliquent en quoi la langue française se singularise par rapport aux quatre autres. Le trait le plus frappant est son caractère analytique et abstrait, là où les autres seront plus créatives et imagées. Mais ces divergences sont peu de chose en comparaison des innombrables ressemblances que l'on peut constater. Par exemple, dans chacune des cinq langues, on peut jouer sur le contraste entre un travailleur pauvre (désargenté) et un pauvre travailleur (à plaindre sous un autre rapport). Pour développer ce panorama des similitudes et contrastes, les auteurs procèdent avec méthode, selon des étapes que nous allons indiquer.

Il est d'abord traité de l'écriture et de la prononciation de toutes ces langues. Comparées au français, leur orthographe montre une bien plus grande régularité, ce qui facilite la compréhension de l'écrit. L'oral demande plus d'efforts, mais la tâche est loin d'être insurmontable.

Viennent ensuite trois chapitres qui parlent du lexique en général. Certes, un peu de latin s'y introduit, surtout lorsqu'on aborde l'histoire des mots. Mais cela reste fort assimilable. L'étude de l'organisation du vocabulaire est l'occasion d'intéressantes évocations, par exemple, comment l'espagnol sueño correspond à la fois à somme et à songe. Ou encore, comment les diminutifs et les augmentatifs foisonnent dans toutes ces langues, sauf la nôtre.

Le texte se focalise alors sur des catégories plus spécifiques, abordant successivement le statut du nom, de l'adjectif, des pronoms personnels, de divers déterminants, des numéraux, du verbe dans les phrases simples, du verbe dans les phrases complexes, des prépositions, des conjonctions et des adverbes. Le dernier chapitre aborde le fonctionnement de Oui et de Non, incluant de nombreux types de situations où ils sont employés.

Chacun de ces chapitres spécialisés va à l'essentiel, et expose les résultats des observations dans des tableaux où chaque langue occupe une colonne. Cela facilite la lecture, mais aussi la consultation ciblée de ce volume, qui représente donc une véritable somme en matière d'observations comparatives. Que ce soit dans des cas simples (accent circonflexe et consonne s) ou dans l'exposé de la richesse des conjugaisons de verbes, la présentation est toujours claire et informative.

La clé de cette approche est que les différences qui existent entre ces cinq langues peuvent être décrites, en première approximation, par des règles de correspondance. Par exemple, comme l'observe le commentateur Flemming Funch, plein se dira pieno, lleno, cheio ou plin, suivant la langue. Il est possible d'en déduire une conjecture sur le comportement du mot plan. Et de tels cas sont innombrables.

C'est donc le mérite de cette entreprise d'encourager une attitude d'ouverture mutuelle des locuteurs de langues romanes, et de donner des moyens concrets pour le faire. Il serait passionnant de travailler sur l'extension de cette démarche au catalan, aux diverses formes de l'occitan et aux multiples langues romanes non encore abordées. Cet ouvrage est ce qu'il y a de mieux pour ouvrir une telle voie.