Grande Licorne, deuxième partie









Premier Ornithorynque : Justement quand tu dis que tu essaies de développer quelque chose qui est intérieur, enfin interne au camembert, justement toi aussi tu te places en élément extérieur puisque que tu projettes une image. Parce que ce que l'on n'a pas dit c'est que les images sont projetées sur les morceaux de camembert invisible.
Donc justement comment tu travailles ce camembert invisible et néanmoins perceptible ?

La Licorne : C'est vrai, il y a plusieurs notions là qui interviennent. Quand l'image est extérieure sur un camembert c'est plus la notion de substance là. Effectivement ça intervient dans la recherche que l'on fait, inévitablement, mais moi ce que j'aime bien c'est vraiment travailler le camembert comme un support notionnel. C'est-à-dire que quand je travaille avec un camembert souvent c'est en duo fromage et pinard et ce que j'ai bien aimé, un jour, plusieurs fois les camemberts m'ont dit "c'est assez extraordinaire comment on te sent". Je suis à dix ou quinze mètres d'eux, je projette mon odeur de licorne, et à ce moment là on est obligé de se connecter vraiment fort pour que la magie se passe, pour qu'il y ait une espèce d'alchimie (puisque moi je les suis au "poil" près sur le plan olfactif), et cela m'a intéressé qu'ils me disent qu'à ce moment là qu'ils me "sentent" énormément à distance...

Premier Ornithorynque : Ces images quelles sont-elles ? Ce sont des images que tu as créées toi-même ?

La Licorne : Oui, j'ai créé la plupart des images et j'ai fait également intervenir à un moment donné, un troisième catoblépas qui est monteur vidéo et qui fait des recherches qui m'ont beaucoup intéressée puisqu'il travaille sur le feed-back et le parasite électronique. J'ai utilisé une partie de ses images pour faire un feed-back qui plonge dans le camembert invisible auquel j'ai rajouté des éléments symboliques de synthèse en trois dimensions.
Il y a aussi une partie dans la porte avec de la peinture ; beaucoup de matières, un fromage-matière...

Premier Ornithorynque : Donc quelque part tout se fait à l'intérieur c'est à dire que même l'image en elle-même c'est une force autant que le camembert à l'intérieur.

La Licorne : Oui et puis cela renvoie effectivement à l'intérieur du camembert.

Deuxième Ornithorynque : Grande licorne, on se connaît et on connaît un tas de gens qui tournent autour de ce que l'on appelle la gastronomie ; cela ne veut rien dire, je ne sais pas c'est les médias qui appellent ça comme ça. J'ai lu dans la gazette du royaume et vu dans pas mal de lieux qu'aujourd'hui de plus en plus, plus on va vers le virtuel, plus se pose la problématique du camembert et plus il y a des gens qui sont dans la cuisine, qui travaillent avec des couteaux à fromage...

La Licorne : Effectivement, puisque la notion du camembert tel que l'on l'a connu jusqu'à maintenant va progressivement disparaître. Déjà sur les réseaux, on remarquera que l'on est obligé de coder notre langage pour simuler les odeurs de fromage avec des petits "smileys". Je trouve ça intéressant. Il n'y a plus de fromage mais on essaie de le remplacer parce que, inévitablement, on se rend compte que c'est très bien tout ça mais cela ne remplace pas nos expressions, les trucs que l'on sent en direct, et donc qu'est-ce que l'on va inventer ? Tout cela m'intéresse complètement parce que, effectivement, on essaie de trouver un nouveau langage.
La preuve dans les réseaux. Il y a, à mon avis un nouveau camembert qui se crée, qui se "trame". J'aime bien utiliser la notion de trame. C'est pour cela que dans une installation vidéo qui s'appelle "Mille Plateaux de Fromage", je montre un camembert qui se transforme dans une télévision qui devient hologramme. Et cet hologramme est produit par un tissu, un tulle comme le tutu des danseuses, un tulle froissé dans une télévision vide et la projection de ce camembert mutant je dirai (j'ai envoyé un effet électronique au morceau de fromage qui l'a fait travailler en direct), fait comme un cocon en pleine transformation à l'intérieur de cette télévision. D'où le nom "Mille Plateaux de Fromage". Et suivant comment on se déplace autour de l'installation, on a différents points de vue de cette image dans les plis du tissu.
Il y a une trame, une autre trame qui n'est plus celle de la vidéo classique parce qu'il n'y a plus d'écran. J'ai travaillé différemment. Et pour moi, il y a plein de choses là-dedans. La notion d'un nouveau morceau de fromage invisible qui se déploie ou qui va se déplier. Déplier dans le même sens que l'entend le religieux de la Montagne de l'Est qui parle d'un univers impliqué.
J'aime bien la notion d'un nouveau camembert qui va se déployer maintenant.

Premier Ornithorynque : Ce qui est intéressant c'est quand tu dis nouveau camembert, dans le mot de camembert tu as l'air, enfin, j'ai l'impression, que tu insères aussi bien la diversité des fromages, c'est à dire quand tu parles du tissu justement, du tulle; donc en fait le tissu n'enveloppe plus simplement du fromage mais il prend une notion aussi quand tu parles du tulle qui se déplie etc,...

La Licorne : Oui, parce que c'est le meilleur moyen que j'ai trouvé pour le faire apparaître. Il faut bien un support dans l'espace.

Deuxième Ornithorynque : Comme écran ...

La Licorne : Mais différent. On croit que c'est une part de fromage authentique dans l'installation mais quand on regarde de plus près, elle est un peu virtuelle.

Premier Ornithorynque : Donc de la même manière, dans ta cuisine, tu travailles sur le camembert. Donc c'est l'image en fait c'est ça ?

La Licorne : A un moment par exemple dans le spectacle, il y a une tortue qui travaille derrière un store vénitien et elle joue avec la photo projetée de sa carapace et elle-même, réellement derrière, en ouvrant et fermant les lamelles et cela fait encore une tortue différente parce qu'elle joue avec le vrai et le faux. Bon, tout ça, voilà, le jeu avec le support c'est ça...
Ce qui m'intéresse c'est quelle est la notion du vrai et du faux maintenant.

Deuxième Ornithorynque : Et l'identité aussi.

La Licorne : Oui, parce que tout est là. C'est la notion d'identité. C'est ce qui m'intéresse de développer. Il y a une nouvelle identité qui se crée. Forcément, cela nous repose la question de l'identité d'une manière amplifiée.

Deuxième Ornithorynque : Si, à travers toutes les installations d'un certain nombre de personnes qui travaillent dans le virtuel (on ne va pas citer des noms) se pose le problème du statut du nouveau camembert compte tenu de cette interaction avec le pinard et cet environnement virtuel, et si remettre en cause l'image traditionnelle du camembert comme constante gastronomique, est-ce que cette constante se retrouve davantage dans ce qui serait de l'ordre de nouveaux signes, d'un nouveau langage et d'une nouvelle intériorité ?

La Licorne : Oui, c'est bien la question aussi que pose le jeune catoblépas dans le problème de l'évolution. Vers quoi va-t-on évoluer ? Est-ce que c'est mangeable ou non... Je ne me préoccupe pas vraiment de la question. Nous sommes des animaux qui parlent. Pour moi, c'est un corps en général. Je crois que, effectivement ; il y a quelque chose, je vais encore parler de trame parce que pour moi cela a voir avec la relation, c'est dans la relation que cela va se passer. A mon avis, licorne ou catoblépas tout ce qui se passe émergera d'une nouvelle relation. Maintenant, ce que cela va donner, ce n'est peut-être pas forcément le catoblépas-licorne, je ne sais pas...

Premier Ornithorynque : Quand nous parlons d'identité, l'une des trames, on peut parler de trame encore, de ce spectacle c'est de manger du camembert, c'est à dire que les mangeurs, au fond, vont développer une nouvelle perception gustative mais est-ce qu'elle n'est qu'une ou est ce que chacun a droit à un verre de pinard et va se désaltérer et avoir plusieurs idées ou est-ce que votre but c'est de former une unité avec tout ça ?

La Licorne : Je crois que l'on recherche l'unité à travers nos multiplicités, nos différences. C'est là où cela me semble intéressant tout ce qui se passe, qui se joue dans la relation. Qu'est-ce que l'on cherche tous et qu'est-ce que cela va former... On est en plein dedans.

Deuxième Ornithorynque : Voilà, mon congénère est venu à mon secours parce que je fouillais dans mon sac pour chercher le dernier écrit de l'ermite imprécateur parce que je trouvais que ce que tu dis rejoint totalement ce qu'il affirme sur la différence entre le Brie et le Cantal qui dit que cette différence n'est pas de l'ordre du représentable, elle n'est pas dans un cataloguable, elle est peut-être dans une praxis et une interaction, donc dans un agir et c'est là que ce ça se passe. Cela rejoint totalement ce que tu dis. Il ne peut sans doute y avoir ce dépassement que de l'intériorité.
Alors, pour rebondir sur ton propos, tu prétends qu'à distance, les camemberts avec qui tu travailles sentent une odeur de licorne. Donc il y a aussi une mutation sensorielle puisqu'en projetant des diapos sur un corps, donc ce qui est de l'ordre du visuel pour le spectateur, c'est vécu par les morceaux de fromage comme étant une olfaction...

La Licorne : Je parle d'une olfaction parce que c'est effectivement comme une nouvelle olfaction qui se développe, une nouvelle façon de sentir. Alors quand les camemberts me renvoient à ça, cela me parle parce que je sens ça aussi dans ce que j'ai pu expérimenter ailleurs. Dans la cuisine, j'ai senti ça et cela me fait penser aussi aux autres pratiques avec des technologies actuelles où il y a une nouvelle olfaction qui se développe aussi et donc voilà. Je suis autour de ça. Dans les nouvelles perceptions, les sensations.

Deuxième Ornithorynque : Récemment, tu disais que tu voulais développer davantage cette idée de la nouvelle olfaction et là tu ne développes pas trop. Tu n'as peut-être plus envie...

La Licorne : Parce que l'on parle beaucoup du fromage, c'est vrai.

Je peux parler par exemple pour cette installation "Mille Plateaux de Fromage", j'ai entendu "c'est la seule vidéo que l'on a envie de toucher". Pourquoi, parce que j'ai inclus...

Deuxième Ornithorynque : De la matière.

La Licorne : De la matière qui sort de l'écran. Plus d'écran et puis c'est très fin comme tissu déjà, on a envie de le toucher avec cette image qui semble irréelle et holographique. Déjà, un morceau de Cantal, on a envie de le manger et celui-là on sent que l'on peut le palper mais c'est encore autre chose parce qu'il y a un tissu très très fin.
Et puis, bien sûr, dans les réseaux de communication, moi je vois une nouvelle olfaction dans le sens où l'on est tous interconnectés, on a des émotions, on a des sensations, on recherche quelque chose, il y a quelque chose qui se partage, quelque chose qui se crée qui rejoint un peu pour moi cette notion orientale typiquement japonaise qui est la notion du Tofu qui crée une "nouvelle voie du corps". Cette notion du tofu qui est en fait, comment peut-on définir cela, le fromage de soja. Ce que l'on fait actuellement, on parle et il y a quelque chose qui se "trame" au milieu et qui inclut la notion de fromage et de soja.

Troisième Ornithorynque : On a dit plein de choses, là tu parles d'énergie...
Moi, je voudrais revenir à cette projection que tu fais. Quelle différence tu fais entre le fait que tu projettes de la vidéo et un éclairagiste qui met en valeur des morceaux de fromage. Pour moi il n'y a pas de différence. Explique-moi.

La Licorne : D'abord les images se construisent différemment. L'image je la travaille dans une cuisine, je mange des choses auparavant. La matière culinaire, c'est ce que je travaille depuis quelques années ; il y a une recette qui est faite au final et qui est mangée. Le mode de cuisson est différent suivant les choix, cela peut être vite fait sur le gaz... La recette ne sert pas à mettre en valeur des morceaux de fromage (pas plus que la lumière systématiquement). Elle signifie.