Sur De troublants détours
(Quidam Editeur, 131 pages, janvier 2004, ISBN 2-915018-04-9, 15 euros)
    de Maica Sanconie, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres

or, gueules et azur      

      Le personnage central de ce roman est une jeune libraire à la splendide chevelure noire. Elle s'établit en Toscane, dans la ville de Lucques, sur l'emplacement d'une ancienne pâtisserie. Elle ne propose que des livres sur l'amour.

La librairie est au centre de ce micro-monde narratif. Autour d'elle, semblent graviter, comme autant de satellites, les autres lieux du récit : un café typique, l'hôpital, le théâtre du Giglio, un jardin botanique, une boutique d'antiquités, la basilique de San Frediano, et quelques rues au tracé irrégulier. Chaque personnage fréquente l'un ou l'autre de ces lieux, mais tous passent à plusieurs reprises par la librairie, où ils lisent, boivent et entrent en conversation. De plus, la libraire, Ottavia, organise à leur intention une loterie de titres de transports amoureux.


      Le principe d'une telle loterie est de demander aux participants de choisir chacun une citation littéraire, qu'ils notent sur un coupon. Ces coupons sont alors mis deux à deux par la libraire, et chaque paire est associée à un ouvrage qu'elle évoque. Ce processus est au centre du récit. Avant qu'il n'ait eu lieu, chaque personnage suit sa trajectoire dans la solitude. Ils s'accrochent à leur identité professionnelle, ils ont l'impression que l'amour n'a que peu de réalité, en ce qui les concerne, ou pire : qu'il ne les atteint que par de cruels et charmants rêves, impossibles à mettre en relation avec la vie de tous les jours.

      Ottavia leur ouvre soudain une porte vers cet ailleurs qui est partout. Car l'amour n'est pas que cette chose dont on parle dans les livres. C'est un accident toujours possible, un démon qui semble se divertir en accomplissant les unions les plus imprévisibles pour l'entourage des amants. Et pour eux, c'est l'évidence qui prend corps, c'est comme s'il n'y avait pas eu d'avant, pas de circonstances, pas de doute.

      Maïca Sanconie transmet fort bien ce message sur la toute-puissance de Cupidon et sur le rôle de la lecture pour nous en faire prendre conscience. Elle excelle aussi à reconstituer les ambiances urbaines, tranquilles ou festives. Ses personnages parlent au lecteur, y compris leurs traits obscurs. La seule réserve que produit cette lecture, c'est le caractère parfois sommaire de certains passages, comme si l'auteur se disait « cette partie du texte ne m'inspire pas, alors passons rapidement à autre chose ».

      C'est dommage. Quand le matériau semble résister, l'artiste devrait se dire qu'il y a quelque chose de solide à en faire. Pourquoi alors y renoncer ? Fort heureusement, ces quelques passages non retravaillés ne suffisent pas à gâcher le charme global de l'ouvrage, qui accomplit tout de même l'exploit de parler de l'amour avec amour, sans en occulter l'aspect désespérant.

      Un autre charme de ce livre est la présence discrète, au hasard des chapitres, d'exercices de style : l'antiquaire adresse une lettre à la libraire, la journaliste rédige un article sur elle, un adolescent reproduit quelques cases de bande dessinée pour les lui offrir, et même le carton d'invitation pour l'inauguration de la boutique adopte un ton précieux.

      Cet ouvrage, agréable à lire, tente d'enseigner quelques vérités sur un sujet ardu. Il suggère que les livres ont des services à rendre aux amoureux, que la chose passe ou non par le doux regard d'une jeune libraire. Il recèle une abondance d'images aux teintes délicates, il montre des situations qui évoluent, c'est un premier roman qui fait espérer au lecteur qu'il y en aura quelques autres de la même plume.