Cochonfucius dans son vagabondage mental





l'érudition n'interdit pas de délirer                 Cochonfucius, participant à une cérémonie fastidieuse, laissa divaguer son esprit de la façon la plus décousue.

        Voyons, qu'est-ce qui serait souhaitable ? Peut-être, un album de BD, avec Albert Einstein ou Jules César, ou bien les deux, ou peut-être pas un album, juste un traité parlant d'amour et de livres. Ou tout simplement de quelques anacoluthes énigmatiques.

        Par ailleurs, que font là tous ces animaux ? Je ne pensais pas qu'ils seraient admis dans ce sanctuaire prestigieux.
J'en vois d'ailleurs un qui est carrément anthropomorphe dans ses allures. C'est sans doute parce qu'il vit dans un antre (comme c'est parfois le cas des hommes).

        Et ceux-là ! On les croirait apostoliques et c'est davantage ce qui convient dans ce lieu, en effet. Ils vont nous concocter une apothéose comme ils savent en servir au public qui en redemande. Si seulement Arabelle pouvait voir ça. Est-elle heureuse avec son artisan ? Je me souviens de nos enthousiasmes, un soir, au fond des bois au point de ne pas entendre le son du cor.

Aux amis qui me connurent si entreprenant, je ne peux que dire «Ayez pitié de ma décrépitude !». Mais dans le fond, je suis comme je suis et il faut l'accepter. J'aurais pu me former comme horloger pour servir le peuple, ou libraire ou que sais-je encore !

        Tiens, un bouc qui parle. Un peu transgénique, sans doute. J'en ai vu un l'autre jour près de l'Océan Britannique et il chantait des airs celtiques. J'étais avec Calpurnia si ma mémoire est bonne, ou alors avec Clémentine mais en tous cas, c'était en revenant de la conférence de Chicago sur les hypertextes universitaires.

       Allons bon, voilà maintenant un animal céphalophore dont la présence atteste que c'est une bien confuse cérémonie qu'ils nous célèbrent ! Heureusement, on entend de fort belles chansons des jours anciens. Et puis, j'aime cette petite chapelle délabrée. Elle symbolise pour moi toute une époque de ma vie sur cette planète.

        On dirait que c'est au tour de la cigogne de prendre la parole. Un peu dur, l'accent alsacien. Que raconte-t-elle ? Une histoire de colonie ? J'en avais écrit une, j'étais étudiant. C'était le temps où je m'interrogeais sur la nature et le fonctionnement de la conscience des hommes. J'avais un camarade de promotion qui s'appelait Victor de son prénom, et nous avions, sur ce sujet difficile, des conversations édifiantes. C'est une merveille d'avoir de tels copains remplis d'une inspiration surnaturelle.

        Pourquoi ont-ils aussi fait venir un corbeau ? Pour nous parler de bracelets ? Tiens, non, il nous chante simplement quelques couplets du gyrovague. Il chante presque aussi mal que Daniel de Cluny. Il aurait fallu faire interpréter cela par de jeunes demoiselles chastes et pures. Ou s'ils tenaient à lui donner quelque chose, un dialogue aurait fait l'affaire.

       Où ont-ils pu trouver des dinosaures ? Grâce à Dipsaca, probablement. Ou encore, à Dupont le primate. Ils vont sûrement promener ces animaux en ville pour impressionner le peuple solipsiste, et demander au gyrovague de versifier sur eux. J'aime bien les dinosaures, mais je préfère les hannetons car ils me rappellent les jours printaniers de mon enfance.

        C'est bientôt la fin de cette cérémonie affligeante, puisque les animaux se sont mis à chanter la complainte d'Hennebont. Autrefois, on chantait plutôt une histoire avec un hérésiarque mais la chanson d'Hennebont a davantage de charme. Ce serait encore mieux si l'on choisissait mon hymne de prédilection, mais cela viendra peut-être un jour.

        Tiens, une inconnue me regarde d'un air engageant. Je lui paierai un godet après l'office. Sauf que Kassandra est venue aussi, il faudra user de circonspection.

        En fait, je ne suis pas doué pour la méditation puisque je me laisse tout le temps distraire.


        En arrivant à cette conclusion, le Maître comprit soudain pourquoi bon nombre de ses textes étaient impubliables et difficiles à évaluer.