Sur Chez les Sauvages (Cosmopole,
167 pages, mai 2002, ISBN 2-84630-005-4, 13 euros),
de Narcisse Pelletier par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




ne mange pas le poisson réservé aux anciens !              En 1858, Narcisse Pelletier, jeune mousse de quatorze ans, navigue sur le vaisseau Saint-Paul qui, parti de Hong-Kong, doit acheminer quelques centaines de travailleurs chinois vers les mines australiennes. Mais le navire heurte un récif et se brise sur l'île Rossel. Une chaloupe parvient à atteindre le cap Flattery, au Nord-Est du continent australien. Les naufragés explorent ce secteur, mais n'y trouvent pas de quoi survivre. Le malheureux Pelletier, trop faible pour retourner à bord, est abandonné sur ce rivage, où il va passer dix-sept années de sa vie. Bien plus tard, le médecin Constant Merland recueillit son récit, que viendra compléter une enquête ultérieure de Philippe Pécot, ainsi que des notes anthropologiques de Carl Lumholtz.

Ce séjour commence par des instants d'effroyable solitude. Aussi, malgré ses craintes, le jeune explorateur malgré lui se décide à suivre des traces de pas. Ce sont celles de trois femmes aborigènes, qui s'enfuient à sa vue. Elles alertent leurs maris. Ces derniers s'approchent prudemment de l'intrus, et le déclarent inoffensif.


L'un des arrivants se nomme Maademan. Il n'a pas encore d'enfants, et décide donc d'adopter le jeune Pelletier, à qui il donne pour nom « Amglo ». Il signale cette adoption à sa tribu, qui l'approuve. Le nouveau venu commence alors son apprentissage de la vie d'aborigène. Les principales connaissances requises concernent les fruits des arbres et les poissons de la mer, il les acquiert progressivement avec l'aide d'un garçon de son âge qui se trouve être le neveu de son père adoptif, autrement dit, son cousin, et son allié le plus proche dans la vie de tous les jours.

Narcisse, devenu Amglo, est d'un naturel conciliant, et n'entre jamais en conflit avec les membres de sa tribu. Toutefois, ils le surprennent un jour en train de dévorer un poisson particulier, dont la consommation n'est permise qu'aux vieilles personnes. Ils le punissent alors cruellement, en lui plantant un aiguillon venimeux dans la cheville. Cette opération a des séquelles bien longtemps après les faits.

Cet incident est la seule ombre au tableau. Maademan est un père plein d'égards, allant jusqu'à choisir pour son fils adoptif une promise des plus charmantes, dans une tribu voisine. Cette union ne sera pourtant pas consommée, l'évasion de Pelletier se produira avant cela.

Au cours de son long séjour, il s'imprègne de la culture de son peuple d'adoption. Notamment, il en apprend les chants traditionnels, dont les paroles sont empruntées à on ne sait quelle langue étrangère. De retour en France, il les transcrit. Un compositeur, Edouard Garnier, en reconstitue les mélodies. Le docteur Merland, quant à lui, note force détails sur la chasse, la cueillette et la guérison des maladies, donnant à cet album de souvenirs des allures d'encyclopédie.

Pelletier aurait pu vivre ainsi toute une vie loin des siens. Mais en avril 1875, le vaisseau John Bell aborde dans sa contrée. Reconnaissant un Européen, le capitaine le prend à bord et le conduit à Sidney, où se rencontrent beaucoup de Français. Notre consul le photographie. Il va ensuite jusqu'à Nouméa, et y fait la rencontre d'un matelot de son village natal, puis il retourne en France, et revoit ses chers parents.

Cet ouvrage n'est autre que le témoignage qu'il donna lors de ce retour, sans ajout de considérations philosophiques ou autres. Comme tel, il ne manque pas de charme ni d'exotisme. C'est donc une utile contribution au vaste corpus des récits de voyages et de naufrages, par lesquels notre imagination, à son tour, peut voyager.