Sur le Journal de Nathan Davidoff
(Ginkgo, 232 pages, octobre 2002, ISBN 2-84679-011-6, 19 euros),
par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


le tsarisme et le commerce sont dans un bateau                Nathan Davidoff, né à Tachkent en 1880, montre un don précoce pour le commerce. Son journal débute par le récit des premières missions que lui confient son père et ses oncles, grands négociants en textiles ayant des bureaux et des manufactures à Tachkent, à Moscou et en diverses localités de Russie et d'Asie centrale. Vers 1905, il en vient à fonder sa propre société. Il travaille de sept heures du matin à huit heures du soir, avec une demi-heure de pause à midi. Il cumule les fonctions d'acheteur et de vendeur, d'où l'efficacité de ses campagnes.
       


De tels succès incitent son père et ses oncles à établir une nouvelle association avec lui, dans laquelle il dispose d'une très grande autonomie. Il s'établit alors dans la ville de Kokand, à la tête de quatre carderies de coton. Il travaille maintenant de six heures du matin à onze heures du soir, toujours avec une demi-heure de pause à midi. Il achète une manufacture d'huile de coton, et s'impose comme l'homme fort de sa famille.

Nathan Davidoff, toujours soucieux de diversification, acquiert successivement une mine de charbon, des moulins à farine, des installations pour produire de la soie, ainsi que des champs de coton. Il projette de construire une voie ferrée privée de quarante kilomètres pour relier la mine de charbon à la gare la plus proche.

Fin 1909, il s'offre un tour du monde. Il séjourne en Allemagne, en Italie, en France, à Monaco et aux Indes, où un seigneur local lui offre une pierre verte. Puis il traverse les Etats-Unis, l'Amérique du Sud, le Japon et la Chine, et rentre chez lui via la Grèce et la Perse. Le récit détaillé de ce voyage, transcrit sur un cahier à part, n'a malheureusement pas été conservé.

En 1910 et 1911, d'innombrables sauterelles ravagent les plantations de coton. Heureusement, des bandes d'étourneaux surgissent et mettent fin à ce fléau en dévorant les sauterelles. Du pétrole est découvert non loin de la mine de charbon. Le projet de voie ferrée requiert de nouveaux efforts, la concession étant entre les mains d'un duc qui souhaite n'en faire aucun usage. Cela incite Davidoff à aller plaider contre lui à Saint-Pétersbourg.

Il parvient à intéresser à sa cause une grande-duchesse qui entreprend d'arracher la concession au duc. Il perd, en 1912, son oncle Benjamin, responsable du bureau de la firme à Moscou, et décide d'aller le remplacer, en installant un homme de confiance à Kokand. Il échappe à la mobilisation en 1914, étant fournisseur des armées. En 1915, il rachète une quantité de pierres précieuses dont quelques aristocrates, voyant venir la fin du tsarisme, ont décidé de se défaire. En 1917, Lénine et Trotski reviennent d'exil, et le tsarisme avance à grands pas vers sa perte. Davidoff se réfugie dans une localité obscure du Caucase profond. Puis il visite Bakou et Samarkand en révolution. Ayant d'assez bons rapports avec certains cadres du nouveau régime, il peut reprendre diverses activités économiques à Moscou jusqu'en 1923, date où il doit fuir d'urgence. Il vit quelques années à Paris, puis en Israël, où il meurt en 1977.

Son témoignage, utilement annoté, complété et illustré de photographies d'époque par son petit-fils Benjamin Ben David, offre une passionnante vision des milieux d'affaires boukhariotes du début du vingtième siècle. Le style en est sérieux et sobre, avec de vivants portraits des personnages côtoyés par l'auteur, dont se dévoilent, au fil des pages, les mille petites particularités qui construisent la trame d'une destinée humaine.