Pourrait-on dégager l'orientation
historique du médium photographique ? Serait-il possible
de définir le devenir socio-historique de ce dispositif
d'agissements et de matériaux "compétents",
capables de mémoriser des idées "à exprimer" ?
Quelle est la tendance, qui constitue la photographie comme
une valeur intersubjective, culturelle, par rapport à laquelle
les pratiques subjectives sont justement subjectives en tant qu'usage
privé d'une "objectivité" ? Cette valeur,
pour nous, sera son idéal de poursuite du dispositif de
la vision humaine. Communément acceptée, car rassurante
de par sa "normalité", notre façon de
voir répond à quelques exigences vitales, de reconnaissance
des formes à une certaine échelle, d'appréciation
de certaines distances, d'évaluation de certaines vitesses.
L'ordre des grandeurs et la classe des formes "intéressantes",
sont nos indiscutables prémisses écologiques, d'ailleurs
modifiées par l'interaction prolongée avec le milieu
artificiel de plus en plus prépondérant.
Les mécanismes de l'Evolution,
tels que la rétention de l'excitation rétinienne
ou le fonctionnement des cellules ganglionnaires X et Y, servent,
avec leurs traitements mentaux respectifs, à déjouer
les difficultés "techniques" des décours
oculomoteurs, des mouvements kinesthésiques, des révolutions
et des positionnements relatifs de la chose, en vue d'une certaine
fixité de l'image du monde. Remarquons, qu'aussi "normal"
que nous puisse sembler le résultat visuel, son matériau
est perçu par l'art comme le corps d'une expression possible,
uniquement en vertu du fiait, qu'il est lui-même en quelque
sorte l'expression" d'une intériorité de la
nature comme milieu. Etre milieu signifie, pour un organisme biologique,
être la présence d'une existence qui génère
sa propre causalité. Innover dans le domaine du dispositif
probatoire permet donc d'espérer la mise en relation cognitive
d'une réalité existentielle peut-être non
révélée.
Sans mysticisme aucun, la rechange
photographique de Bury expérimente sur la peau du monde,
que notre regard ne caresse qu'avec des cadences inhabituelles,
celles de la période initiale de la photographie. Le dispositif
réuni techniquement et inscrit comme le résultat
visuel des épreuves, révèle une intériorité
qui scelle les choses du paysage d'une façon donnant lieu
à des idées artistiques surpassant les chapitres
artistiques correspondants, notamment ceux de Rodchenko et de
Dlubak. Le corps de leur expression subjectivise le corps qui
habille une certaine dynamique réal du monde des grands
mélanges macroscopiques, dont les éléments
se disputent les manières de s'effectuer. Il existe pourtant,
dans la perception ordinaire, une sensibilité corrélée
à l'existence des équilibres frontalières
des volumes terrestres. N'étant pas immédiate, cette
sensibilité opère avec un temps phénoménologiquement
fort diffèrent de celui qui décèle les masses,
les déplacements et les distances des objets mouvant dans
notre sphère familière. C'est une instance temporelle
non instrumentale qui est présente dans certaines présentifications
issues de l'imbrication des grands nombres d'impressions sensitives,
mais foncièrement "inutiles", donc repoussées
dans le domaine d'associations accidentelles, secondaires et accessoires,
formant souvent le fond imprécis pour les résultats
d'activités, qui s'en détachent comme des formes
prégnantes immédiatement reconnues dans l'axiologie
qui est notre. Pourtant, par rapport aux principes de l'expression
émergentielle des causalités naturelles, le procédé
lui-même n'est point en quelconque position de faiblesse.
Se donner certains moyens de perception correspond à coup
sûr aux aspects existentiels nécessairement "naturels".
Pour un artiste qui réfléchit sur les façons
de percevoir, il existe une sorte de causalité renversée,
qui tenant à la justesse de la performance artistique,
retrouve la nature, là où elle n'était pas
encore. Les sciences naturelles, comme l'astrophysique, creusant
les phénoménologies traditionnelles, procèdent
exactement pareil. La manière de voir la Voie Lactée
(ici avec les artifices de la géométrie projective)
révèle le centre de notre galaxie. Pour Bury le
choix pertinent du temps d'obturateur (temps-pose), permet de
révéler l'étendue de la bande du mélange
de la terre et de la mer normande, autrement perceptible uniquement
dans les remémorations dues à une longue intimité
et une fréquentation assidue du paysage.
Le signe des causations étant
inversé, les frontières qualitatives, les interfaces
d'éléments, se quantifient. Dans cet étonnant
matériel visuel, filtré néanmoins par l'incontournable
projection de laboratoire (le moment le plus vulnérable
du travail du photographe), on peut saisir la quantité
de la nébuleuse aqueuse, la portion de la matière-temps
nécessaire à la stabilisation de la marée.
Relativement à ce laps de temps choisi, certaines trajectoires
des moments internes du système thermodynamique mer-air-terre
s'estompent et d'autres se stabilisent dans une famille d'apparitions
aptes á créer des phénomènes résistants,
d'autres encore attendent toujours leur paramètrage opportun.
La série de Bury commence alors à s'organiser autour
de ces seuils remarquables et suit leur distribution saccadée
qualitativement, sans aucune contrainte arbitraire (dés
qu'on est bien à l'intérieur de la démarche),
par les étapes propres du paraître. C'est ainsi que
l'on peut voir le temps du niveau de la mer, le temps de l'horizon,
le temps de la rigidité de la digue, de la porosité
du sable, etc.
Ce monde commence en deçà
de l/24-ème de seconde, et s'il n'est pas rendu cinétique
dans la représentation, par les mécanismes de capture
du mouvement, ou fractionné par les temps photographiques
rapides, laisse un dépôt que Bury prélève
à différents endroits. La physique esthétique
qui en découle ensuite, assigne aux objets volumineux des
régimes de rigidité, que l'on peut considérer
comme le corrélât relativisant la loi qui interdit
aux items matériels d'occuper les "places" déjà
prises dans le pavage effectif de l'espace. L'esthétique
physique en profite pour faire voir comment le tronc d'arbre centralise
son cube d'occupation, comment le branchage le protège
des ingérences et comment le feuillage se dispute la zone
où le pouvoir légifèrent est sensiblement
allégé, la zone de négociations avec le rival
voisin.