Sur L'Orthographe et la prononciation française (Ennoïa, 197 pages, février 2002, ISBN 2-914894-00-7, 10,50 euros)
de Jacques Peletier du Mans, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


les mots ne changent, ni les graphies, mais les rapports entre eux                Dans cette réflexion en forme de dialogue, Peletier se met en scène, ainsi que trois ou quatre de ses compagnons pleins de sagesse, avec qui il débat sur l'orthographe de la langue française, en ce milieu de seizième siècle. Le point de départ de leur controverse est une question assez simple : Serait-il opportun de réformer notre orthographe, afin de la rendre conforme à notre prononciation ?

Le premier orateur rejette une telle idée. D'une part, les Français sont trop imprégnés de la physionomie de leurs mots familiers pour les en voir soudainement changer. Quant aux étrangers qui étudient notre langue, ils ne cherchent aucunement à s'appuyer sur l'écrit pour trouver le son des mots et des phrases, car ils s'efforcent de bénéficier de vraies conversations avec des Français sachant lire. Donc, ni les uns ni les autres ne sont demandeurs d'une rationalisation de l'écriture.
       

D'ailleurs, une grande partie de la réforme envisagée consisterait à ne plus écrire les lettres qui ne se prononcent pas, comme le 's' du mot 'lettres' ci-contre, ou le 'n' et le 't' de 'prononcent'. Mais si la voix ne les prononce pas, l'oeil les lit, pour en tirer l'indication de pluriel, et ne pas les mettre serait se moquer, dit notre homme. De même, par le 'x' de 'voix', on 'voit' que ce n'est pas une 'voie', il est donc utile. Enfin, l'origine latine des mots est souvent indiquée par une lettre muette, comme le 'p' de 'corps', de 'temps' ou de 'compte'. Or, cette parenté de notre langue avec le latin est à son honneur, il serait bien dommage de s'en priver.

Plus généralement, quiconque entreprend une réforme doit examiner trois questions. Premièrement, est-ce la peine d'abolir les coutumes existantes et de lutter contre leurs défenseurs ? Deuxièmement, comment faire aimer au public une chose qu'il n'a jamais rencontrée ? Troisièmement, sur quelle autorité peut s'appuyer la réforme ? Or il semble qu'un bouleversement de l'orthographe, selon chacun de ces trois critères, offre bien plus d'inconvénients qu'autre chose.

Tous ces arguments sont patiemment réfutés par le second orateur. Sur les mots d'origine latine, il remarque que les Romains eux-mêmes changeaient l'écriture quand un mot changeait de prononciation, par exemple 'voltus' (visage) devient 'vultus' et le 'o' devient 'u'. S'ils avaient, de leur temps, cessé de prononcer le 'p' dans 'corpus', ils auraient également cessé de l'écrire dans ce mot. De plus, notre étymologie s'arrête aux formes latines et grecques, alors qu'il serait pertinent de remonter aux langues qui ont précédé celles-là, chose malheureusement impossible. Il convient donc de se tourner plutôt vers l'avenir, et de penser aux futurs utilisateurs du français. Pour eux, ainsi, d'ores et déjà, que pour les apprenants étrangers, une bonne gestion des accents sur la lettre 'e' sera plus éclairante que l'usage et l'abus des consonnes muettes. Cependant, les mots directement pris au latin devront être préservés, donc 'description' doit garder son 's' même si 'décrire' mérite un accent.

Pour ce qui est de la question initialement posée, la seconde intervention conclut donc à l'opportunité d'effacer une bonne partie des consonnes superflues qui se voient dans notre écriture.

De fait, l'Histoire nous montre qu'un tel conseil fut très partiellemement suivi, ainsi nous avons des avocats plutôt que des advocats avec un 'd' muet, des sphères et non plus des sphæres, et des tempêtes en guise de tampestes. Mais les changements et simplifications qu'ont apportés la Renaissance et les époques ultérieures sont, au total, bien peu de chose. Il est d'autant plus passionnant de se plonger dans de tels ouvrages, qui montrent à quel point la question de l'orthographe fut vigoureusement débattue par de grands auteurs, soucieux d'établir une véritable politique linguistique.

La présente édition, à la graphie modernisée, comporte des notes explicatives et une notice biographique sur Peletier. C'est un document utile pour le linguiste, pour le curieux de faits de langue, pour l'amateur d'ambiances Renaissance et pour bien d'autres publics.