Sur En Russie au temps d'Elisabeth (mémoire sur la Russie, par le chevalier d'Éon) (L'inventaire, 193 pages, août 2006, ISBN 2-91090-62-9, 16,80 euros)
présentation de Francine-Dominique Liechtenhan, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


voyagez dans le temps                De 1757 à 1761, le chevalier d'Éon (non encore travesti) est secrétaire d'ambassade à Saint-Pétersbourg. Au cours de cette période, il rédige un rapport sur l'état de l'Empire de Russie. Il commence par en décrire l'imposant cadre géographique, et notamment les productions agricoles et les voies navigables, mais aussi les établissements ecclésiastiques et la psychologie du citoyen ordinaire : il est adroit et robuste, mais enclin à l'ivrognerie, et surtout, il tend à contrecarrer les entreprises des étrangers sur la terre de Russie, que ce soit par des tromperies ou par des tracasseries perpétuelles. C'est toute une tradition d'indolence qui s'offusque en présence des preneurs d'initiatives.

Parlant de l'aristocratie, il note qu'elle est nostalgique du temps où Moscou était leur capitale, et que la tsarine Elisabeth partage parfois ce sentiment. Mais cela ne va pas jusqu'à remettre en question la prépondérance de Saint-Pétersbourg, héritée de Pierre le Grand.
       


Une des institutions les plus remarquables de l'Empire est sa prestigieuse Académie des Sciences, qui cependant est en crise. En effet, elle comprend des membres issus des principales nations d'Europe, ce qui donne lieu, entre autres, à de violentes querelles entre académiciens français et allemands, au détriment des avancées scientifiques. Néanmoins, l'Académie rend encore de grands services en termes de formation des futurs cadres de l'armée et des diverses administrations.

Nombre de ces cadres sont d'ailleurs des étrangers, qu'à la suite du tsar Pierre, Elizabeth persuade d'occuper des fonctions importantes, dans lesquelles un Russe serait soupçonné de se montrer trop irresponsable. Par exemple, les officiers de marine sont anglais.

Les Britanniques sont également présents à la tête des grandes manufactures et des maisons de commerce. Éon se demande si les Français ont une chance d'aboutir à une position comparable. La première étape consisterait à signer un pacte commercial. Elle ne sera franchie que bien des années plus tard. Le chevalier avoue d'ailleurs que le commerce n'est pas le secteur dans lequel il possède le plus de compétence.

L'observation de la Cour impériale le passionne bien davantage. Négligents pour leur propre parure, les Russes sont exigeants pour celle des étrangers, et plus particulièrement des Français, arbitres des élégances. La musique est excellente, mais ne se renouvelle pas assez.

Comme toutes les cours aristocratiques, celle-ci foisonne d'intrigues plus ou moins élaborées, et parfois attisées par l'Angleterre et la Prusse. Dans ce contexte florentin, certains, et non des moindres, utilisent leur propre ivrognerie comme excuse pour oublier des conversations compromettantes, et pour revenir sur les déclarations qu'ils ont pu faire. C'est notamment le cas du chancelier Alexis Pétrovitch Bestoujev-Rioumine, dont la carrière connaîtra, de ce fait, des hauts et des bas.

Cet ouvrage offre une excursion dans un monde fascinant, sous la conduite d'un observateur subtil et attentif. Il s'orne de nombreuses reproductions de documents d'époque. Enfin, Francine-Dominique Liechtenhan, dans une introduction et des notes sobrement érudites, lui adjoint un éclairage qui met bien en relief les talents de narrateur et de diplomate du chevalier d'Éon, que des aventures ultérieures ont rendu fort célèbre.