Les moineaux noirs psalmodient
 
 autour de Cochonfucius
 
 
L'existence est peu de chose,
Ce n'est qu'un pauvre débris
Qu'on ramasse et qu'on repose.
C'est du soleil presque gris,
Un oiseau dans la souffrance,
Un discours trop mal écrit,
Une phrase qu'on commence
Et qu'on ne termine pas,
D'un ami la défaillance...
On fait avec ce qu'on a.
 Notre vie est grandiose,
 
 En ce pays mou 
des morts,
 
 C'est nous les vieux moineaux-porcs.
 
 Allons vers l'apothéose
 
 Des vaches et des guirlandes,
 
 Et des boulettes de viande,
 
 Et des raisins mûrs qui pendent
 
 Dans la lumière du soir.
 
 C'est nous les vieux moineaux noirs.
 
 Picolons
 dans les crevasses,
 
 Et quand notre esprit rêvasse,
 
 Brusquement chacun se marre.
 
 Nous disons des mots bizarres.
 
 Joyeux comme des cadavres
 
 Dans une ivresse transie,
 
 À Cluny
 est notre havre,
 
 Dans cette auberge moisie.
 
 Nous aimons la pourriture,
 
 Subissant la dictature
 
 D'une vache aux grands yeux d'or.
 
 C'est nous les moineaux nocturnes,
 
 Abrutis et taciturnes.
 
 Partisans du moindre effort.
 
 Limpide est notre pensée,
 
 Une foi décomposée.
 
 Quelques-uns sont
 sentencieux,
 
 Leur esprit crache le feu.
 
 Pure, radieuse et nouvelle
 
 Est leur extatique ardeur,
 
 À grands coups de manivelle,
 
 Ils  luttent, c'est une horreur.
 
 Par un effort torrentiel,
 
 Ils font d'un nuage un ciel.
 
 Ils mangent du pain gothique,
 
 Se torchent avec leurs doigts,
 
 Roupillent les bras en croix,
 
 Boivent du pinard mystique,
 
 Aux vaches font les yeux doux
 
 Et transpirent de partout,
 
 Sentencieux et méphitiques.
 
C'est un pays où le soleil
Est un trou noir dans un ciel mauve ;
Tu y vas pendant ton sommeil,
Lors de ton réveil tu t'en sauves.
Dans ce pays, lorsque tu vois
Auprès de toi un personnage,
Ce n'est pas le gars que tu crois ;
Trop mobiles sont les visages
Pour qu'on puisse associer un nom
A une personne qui parle.
Ah, c'est Alfred, ah, pourtant non,
Voilà qu'il est devenu Charles.
C'est un pays où quand on prend
Un livre on ne voit pas ses lettres,
Si on les voit on ne comprend
Rien à ce qu'elles pourraient être,
Ou si on veut cartographier
Ces insondables territoires,
On en est bientôt mortifié ;
Mais ceci est une autre histoire.
C'est un pays dont le sol mou
Rend la marche un peu malhabile,
Il faut forcer sur les genoux
Et par moments c'est bien pénible.
Les animaux d'un tel pays
Ne sont pas tous reconnaissables,
On ne peut en être obéi,
Certains sont vraiment haïssables.
Dans ce pays, l'instituteur
Donne ses cours à la taverne.
Mais son public est chahuteur,
N'écoutant point ses balivernes.
Et dans ce pays, les cadrans
Des horloges sont fantaisistes,
Ils montrent des chiffres marrants
Et les changent à l'improviste.
Ah, dans ce pays, les tombeaux
Ont subi du temps les ravages ;
Leur aspect ne serait pas beau,
S'ils n'étaient sous l'herbe sauvage.
C'est un pays aux nuits grandioses
Mais où les jours sont un peu morts.
On vibre en une apothéose,
L'instant d'après on n'est qu'un porc.
Pays de poissons aux yeux d'or
Dont la peau est décomposée
Et qui avec de grands efforts
Veulent maîtriser leur nausée.
Intoxiqués de volupté,
Ils passeront leur vie entière
A consommer de la beauté
Qui dans le fond n'est que misère.
Point n'est de fin à leurs désirs
Sous le froid regard de la lune,
Ils se prennent sans se choisir,
Leurs joies s'effacent une à une.
 Dans notre jardin le soir,
 
 Auprès d'un espalier noir,
 
 Est enterré notre espoir.
 
 Cette vie est vénéneuse. 
 Attendons la moissonneuse
 
 Qui calmera notre fièvre.
 
 Elle apporte le Sabbat,
 
 Le silence sur nos lèvres
 
 Et la fin de nos tracas.
 
 Qui voyage par les plaines
 
 Ne voit jamais de baleine.
 
 Planter rosiers en quinconce
 
 Ne fait pousser que des ronces.
 
 Pourriture est souveraine.
 
 Assoiffés de la beauté,
 
 Affolés de volupté,
 
 Passant une vie entière
 
 Enfoncés dans la misère,
 
 Et la vache aux grands yeux d'or
 
 S'amuse de nos efforts.
 
 Aux villages de la plaine,
 
 Jamais de tendresse humaine.
 
 Rien ne nous sert de chercher
 
 Quels ont été nos péchés,
 
 Rien ne sert de revenir
 
 Sur les malheurs du désir.
 
 Rien n'est bleu comme la lune,
 
 Les fleurs mourront une à une.
 
 Rien, comme une vie d'horreur,
 
 Ne conduit à la splendeur
 
 Immense et phosphorescente.
 
 Pourriture est incessante,
 
 Pourriture est infinie.
 
 Les moineaux n'ont nulle foi,
 
 Ils n'appliquent pas la loi.
 
 Leur esprit, c'est le flambeau
 
 Brûlant de leur ironie
 
 Au-dessus de leur tombeau.
 Un érudit fit un bref commentaire.
 
 Quand les moineaux ont soif, ils font n'importe quoi.