Sur (presque) Tout Topor (Alternatives,
207 pages, mai 2005, ISBN 2-86227-456-9, 25 euros)
de Laurent Gervereau par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




autrefois : http://www.koikadit.net/RTopor/toro.jpg             Dans ce dictionnaire, dont une première version, plus brève, avait paru en 1998, Laurent Gervereau fait l'inventaire des multiples productions du regretté Roland Topor, dessinateur, écrivain, dramaturge et plasticien. Davantage qu'un dictionnaire, c'est un alphabet poétique haut en couleurs. Des affiches, une biographie, plusieurs couvertures de livres, divers objets, une certaine philosophie et force questions figurent, entre autres, dans ce joyeux bric-à-brac. En guise de postface, une rubrique intitulée Pour la route contient une sélection de traits d'humour toporifique.
       
Les images présentées au fil de ces pages sont parfois monstrueuses. Mais, rétorque Topor, c'est d'abord la réalité qui est caricaturale. Il faut la fuir. C'est difficile, car elle forme des impasses. Alors, il faut briser les codes. Et pour cela, tous les moyens sont bons : détournements, hybridations, assemblages et parodies, lesquelles vont jusqu'à l'instauration d'une religion nouvelle, dans le livre de Proutto. Certes, elle n'a qu'un seul adepte, mais il souffre pour plusieurs.

Ce recueil contient peu de texte, juste ce qu'il faut pour situer chaque entrée lexicographique en termes du rôle qu'elle joue dans le Toporland. Ainsi les Mémoires sont pour se perdre, les Ombres sont à suivre et les Portraits sont des avatars. Ce sont donc les images qu'il faut lire. Quelques-unes sont de simples portraits de l'artiste à diverses époques de sa carrière. Les autres sont des reproductions de ses dessins, tableaux et sculptures.

Il s'agit, le plus souvent, de personnages vivant un cauchemar. Dans certains cas, un animal fort inquiétant tourmente une victime impuissante. Souvent, un personnage, en proie à la panique, hurle silencieusement. En d'autres occasions, c'est l'anatomie humaine qui se modifie de manière insoutenable. La combustion d'un livre de cuisine sert à chauffer les plats. Un policier en uniforme tient lieu de siège au cabinet d'aisance. Une poire se prend pour une femme peu farouche. C'est le carnaval des monstres.

Le sourire n'est pas absent de ce monde glauque. Une page ne porte qu'un simple trait vertical approximatif. Explication : c'est un dessin dont on ne voit que le profil. Plus loin, des camemberts entrent en compétition d'étalement sur la page d'une revue savante. Ailleurs, le passe-muraille, un héros de Marcel Aymé, surgit burlesquement chez son voisin.

Au total, cette collection d'images et de textes, intelligemment articulée et bien équilibrée, constitue une bonne introduction à l'univers de Roland Topor. Elle en exhibe la tonalité inquiète et moqueuse. Elle nous plonge dans les brumes oniriques dont l'artiste faisait son environnement quotidien. Discrètement, elle évoque aussi la camaraderie qui existait entre Gervereau et Topor. C'est donc le tombeau d'un grand dessinateur, qui méritait bien ce dernier hommage.