Sur Sila Naalagaavok (Le temps est le maître) (Diabase, 197 pages, février 1998, ISBN 2-911438-02-7, 16,46 euros)
de Jocelyne Ollivier-Henry, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


les voyages forment la jeunesse et déforment les paquetages                Jocelyne Ollivier-Henry, interrogée par Cypris Kophidès, évoque ses deux séjours dans le village le plus septentrional du Groenland, Siorapaluk, en 1990-1991 et 1994-1995. Ayant appris le dialecte groenlandais du Nord, cette intrépide exploratrice parvient à trouver sa place dans cette minuscule population installée au bout du monde. Certes, les Inuit sont davantage accoutumés à recevoir des visites masculines, mais cette situation insolite ne leur déplaît finalement pas.
       


Par temps calme, l'hiver est déjà éprouvant à ces hautes latitudes, mais lorsqu'il se déchaîne, le vent glacial menace parfois d'emporter la cahute de la dame anthropologue. C'est dans ces occasions que les liens avec les villageois se resserrent. C'est aussi en apprenant la capture des petits oiseaux à l'épuisette, et des lièvres au collet. Notre héroïne n'affonte pas elle-même l'ours, mais assiste au retour d'une telle chasse et en garde un fort souvenir.

La nuit polaire est la période des visites, donc de la conversation et des récits. Mais, si la lune brille, un peu de chasse est encore possible. Une partie de la population met à profit ces mois sombres pour pratiquer un art artisanal. Les anciens instruisent les jeunes, non sans faire usage de quelques plaisanteries. Le solstice d'hiver, devenu « Noël » comme un peu partout, est une fête simple et chaleureuse.

Le retour du soleil est l'occasion d'une joyeuse cérémonie, avec des chansons, des courses en tous sens, et des friandises. Au solstice estival, on hisse le drapeau pour la fête nationale du Groenland (autonome depuis 1979), et on organise un concours de tir à la carabine. Chaque fête est l'occasion d'oublier les désaccords, or les fêtes sont si nombreuses que les conflits entre villageois ne durent jamais longtemps. En septembre 1991, Jean Malaurie, présent dans ces parages depuis 1951, vient saluer sa jeune collègue.

Les jours ordinaires sont principalement consacrés à guetter le gibier, à se procurer dans la nature ce qu'il faut pour survivre et à éduquer les chiens. Lorsque les villageois ont l'occasion de séjourner dans la ville voisine, ils sont désemparés, trouvant que l'existence y est pleine de temps morts, autrement dit, d'attentes passives. Sur leur territoire, au contraire, ils sont constamment en dialogue avec leur écosystème. Jocelyne Ollivier-Henry partage cette sensibilité, qu'elle a acquise au prix de patients efforts.

La lecture de ce témoignage est riche en détails instructifs et pittoresques. La vie dans un village traditionnel du Groenland n'est possible que grâce aux solides qualités humaines qu'entretiennent tous ses habitants. Ce livre en donne une vision instructive et réconfortante. Il ne peut que charmer les amateurs de découverte, tout en leur offrant une ample matière à méditation.