Sur Thessalonique, chroniques d'une ville prise (Anacharsis,
297 pages, mai 2005, ISBN 2-914777-18-3, 22 euros)
de Jean Caminiatès, Eusthate de Thessalonique et Jean Anagnosthès par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




Les éditions Anacharsis offrent des voyages dans le temps             Par trois fois, en 904, en 1185 et en 1430, la grande ville byzantine de Thessalonique fut prise par des ennemis. Ce furent d'abord les Sarrasins de Crète, puis les Normands de Sicile, et pour finir, les Turcs. De chacune de ces tragédies, subsiste un témoignage d'époque.

Le premier auteur, Jean Caminiatès, est l'un des vingt-deux mille captifs que fit le renégat Léon de Tripoli, à la tête d'une flotte musulmane. Cette attaque a certes été annoncée aux Thessaloniciens par des déserteurs, mais en un temps où leurs fortifications étaient inachevées. Ils ont beau se démener pour rendre leurs murailles moins franchissables, rien n'y fait. L'ennemi déferle vers les remparts, utilisant les mâts de ses navires comme échelles géantes, et s'introduit partout. Les habitants de la ville n'ont que leurs lamentations à opposer à cette violence.


Caminiatès, en compagnie de quatre parents proches, fait face à des soldats venus le massacrer, et leur propose un marché : la vie sauve contre un trésor enterré quelque part en ville. Nos cinq héros malgré eux se retrouvent ainsi parmi les prisonniers de marque, échangeables et donc protégés. Ils naviguent, avec leurs vainqueurs, au gré des changements de direction du vent, font escale en Crète où bon nombre de captifs sont vendus comme esclaves. Ils sont exposés à la fureur d'une tempête. Ils sont détenus à Tripoli, puis à Tarse, d'où Caminiatès envoie cette narration, avec une demande pour que l'échange de prisonniers survienne rapidement, car il ressent l'accablement de tant de malheurs successifs.

L'Histoire ne se répète pas, mais, dit Jacques Deval, elle se plagie. Près de trois cents ans plus tard, l'archevêque Eustathe se trouve pris, à son tour, dans le flot des victimes d'une incursion militaire. Les soldats, ayant abattu un pan de muraille, vont au plus facile, frappant les vieillards et les enfants. Le stratège qui aurait dû tenir la place se laisse prendre dès le début des hostilités. Eustathe suggère que l'empereur Andronic lui-même, par sa politique conflictuelle, est à blâmer pour les désordres qui ont produit la chute de la ville aux mains des Normands. D'ailleurs, ayant prévu cette chute, Eustathe se serait volontiers éloigné. Mais, par solidarité avec son peuple, il subit le sort commun. Il se trouve détenu à l'hippodrome, puis au port. Finalement, il trouve refuge dans le jardin de saint Demetrius, dont les Barbares saccagent les arbres. Autour de lui, l'occupation se prolonge, avec son lot de pillages et de sacrilèges. Cela lui suggère une triste méditation sur les péchés commis par les Thessaloniciens, que ces malheurs viennent punir. Son espoir est que cette punition fera revenir la vertu, et à sa suite, la liberté. Mais dans combien de jours ?

La troisième chronique, au crépuscule de l'Empire, n'échappe pas à ce ton de grande tristesse. En prélude à sa narration, Jean Anagnostès nous signale un songe du dernier archevêque de la ville. Celui-ci se voit dans un palais magnifique. Une voix venue de l'extérieur lui conseille d'en sortir au plus vite, car l'édifice est sur le point de s'effondrer. Ayant eu ce songe, le vieil archevêque ne tarde pas à trépasser, et peu de jours après cela, la ville est prise. Au préalable, le seigneur Mourad, chef des attaquants, avait fait des offres de reddition pacifique. Mais elles ne furent point entendues. Alors, partant d'un secteur de muraille malencontreusement vide de défenseurs, l'immense armée ottomane s'engouffre dans la brèche facilement créée. Sept mille prisonniers furent enchaînés. Les églises sont converties en lieux d'habitation. Par la suite, la ville se repeuplera, mais ses habitants, pleins de nostalgie, ne connaîtront plus que dans leur souvenir sa splendeur d'autrefois.

Ces trois récits sont brillamment traduits et agréablement présentés par Paolo Odorico, byzantiniste de renommée internationale, qui fournit une riche bibliographie et des notes éclairantes. C'est donc une bonne porte d'entrée vers l'Empire Byzantin, un univers de troubles et de fascinations.