Sur Journal caucasien (1928-1931) (L'inventaire, 221 pages, octobre 2000, ISBN 2-910490-29-7, 15,94 euros)
de Paolo Vita-Finzi, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


un monde nouveau surgit parmi les ruines                En 1928, le jeune Paolo Vita-Finzi arrive à Tiflis (maintenant Tbilissi), capitale de la Géorgie soviétique. Il est consul général d'Italie, et sa juridiction englobe l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Daghestan et plusieurs territoires autonomes situés dans le Caucase du Nord. Toutes ces régions sont en pleine soviétisation, envers laquelle les paysans ont de la défiance. Les hautes instances du pouvoir se livrent à des luttes intestines, que les staliniens semblent déjà devoir remporter, du fait de leur attitude sans concessions.
       


Ce contexte de quasi guerre civile, à laquelle participent même des bandes d'enfants perdus, a pour résultat qu'il reste fort peu d'étrangers dans ces parages. Les Italiens sont deux ou trois cents, de conditions fort diverses. Les plus enthousiastes sont des vignerons, établis dans le Caucase pour y exercer leur talent.

Experts en dérision, les Géorgiens ont tôt fait d'appeler « oeuvres complètes de Staline » les livrets de rationnement du pain, de la viande, des matières grasses, des textiles et de toutes sortes de denrées de première nécessité. De fait, le spectre de la famine hante cette partie du monde, avec son cortège de révoltes.

Pour mieux observer la situation, Vita-Finzi visite Moscou, Léningrad, Bakou, Odessa et plusieurs villages d'Arménie. Les Arméniens traitent la crise au moyen de leur traditionnelle ironie, décelable notamment dans les blagues de Radio Erevan.

De retour à Tbilissi, notre consul se rend compte qu'au moins deux de ses employés travaillent de temps en temps pour les services de renseignement gouvernementaux. Heureusement, ces espions amateurs ne sont guère subtils, il est donc facile de s'en protéger.

Dans le monde paysan, les efforts de collectivisation continuent, avec le mot d'ordre de liquidation des agriculteurs individualistes surnommés koulaks. Or, quel agriculteur n'est pas individualiste ? Mais cette position est de plus en plus intenable. Certains quittent la terre, et deviennent clochards en ville, ou bandits dans les montagnes.

Les vignerons italiens, dans leur village de Verblioudogorskaïa, se font traiter d'exploiteurs du peuple, pour avoir employé des journaliers. Le consul vole à leur secours et menace le président du soviet de village de complications internationales. Cela sauve provisoirement ces vignerons, qui finissent néanmoins, quelques mois plus tard, par préférer regagner l'Italie pour échapper à la collectivisation devenue implacable.

Peu de temps après, Vita-Finzi est rappelé à Rome, et ne revoit l'Union Soviétique qu'en 1953, après la fin de l'ère stalinienne. Il raconte ce nouveau voyage dans son Carnet Moscovite , recueil de notations fugaces et colorées sur la vie de la rue et des théâtres, et traite aussi, dans quelques Annexes , de la jeunesse de Staline et des agissements des services secrets soviétiques sur le sol français.

Au total, ce recueil de souvenirs personnels frappe par la sobriété du ton, le souci de recoupement des sources et une véritable élégance diplomatique. Il apporte un éclairage original sur une période bien sombre de l'histoire du monde. Surtout, il souligne l'effrayant contraste entre la noblesse des buts et la cruauté des moyens qui caractérise le stalinisme. A ce titre, il constitue une pièce cruciale de ce vaste dossier.