encore un sonnet
Cochonfucius vu par Stéphane Cattaneo








Cette intervention prend la forme d'un sonnet.

S'agit-il d'un sonnet nocturne ? Peu importe.

les auxiliaires du temps

Aion dit à Kairos : « Ecrivons un sonnet »,
Chronos le leur permet, ils n'ont rien d'autre à faire.
Aion se gonfle alors comme une énorme sphère
Et Kairos de grands coups de pinceau lui donnait.

Chronos aux alentours, calme, se promenait,
Qui pas toujours avec ses adjoints n'interfère,
Jugeant qu'en certains cas ils savent leur affaire
(Ça fait un certain temps, déjà, qu'il les connaît).

Aion, sans prévenir, se réduit en un point,
Les tracés de Kairos alors ne se voient point,
C'est dommage, ils étaient d'une belle écriture.

Il faut se résigner. La surface du temps,
C'est une bulle, et non un papier résistant :
Elle ne retient pas notre littérature.


  Hommage au maître Angelus Silesius

La rose est sans pourquoi, dit la métaphysique ;
Sa raison pour fleurir est en sa floraison,
Comme une oeuvre, un sonnet, un air, une chanson.
C'est ainsi qu'une vie à soi-même s'explique.

Puis viennent au jardin des fronts académiques
Sur lesquels est inscrit « Principe de raison ».
Ils composent alors des airs de leur façon,
Avec beaucoup de mots et très peu de musique.

Ils creusent la notion de raison suffisante
Et font délibérer leur raison raisonnante
Pour savoir si la rose est quelque chose, ou rien.

La rose cependant meurt au jardin d'automne,
Et sa mort guère plus que sa vie ne l'étonne,
Ni que le regard froid des métaphysiciens.






une anomalie

Trop d'espace au grand Nord, et ça nous étonnait.
On eut beau calculer, mesurer, rien à faire,
On eut beau repenser le rayon de la sphère,
Au calcul, le réel jamais ne pardonnait.

Lorsque Néandertal là-bas se promenait,
Il se disait, pensif : « Quelque chose interfère
Sans doute avec l'espace, une curieuse affaire
Cosmologique ici, pour moi qui m'y connais ».

Là où les méridiens se croisent en un point,
Un axe les pourfend, mais on ne le voit point,
Il est juste tracé aux rouleaux d'écriture.

Et cette anomalie est là depuis longtemps.
Le cosmos est un être obstiné, résistant
Et peu sensible au goût de la littérature.
   Une pâquerette

De tant de doux plaisirs ma vie fut étoilée !
Des chemins de hasard, des livres à foison,
Nourriture et boisson franchement avalées,
Je n'ai point trop souffert de la rude saison.

Des rayons de soleil entre les giboulées,
Un jardin ramenant de belles floraisons,
Mille pages d'album, de sonnets constellées,
Des compagnons venant de tous les horizons.

Au milieu du gazon, la tendre pâquerette
Illumine le jour, tout en restant discrète,
Et nous fait oublier la façade en béton.

Partageant le café, la libraire voisine
Sourit en découvrant l'album de Mélusine
Qu'elle vient de sortir d'un énorme carton.




Les trois aéronautes

Le pissenlit d'avril offrit trois parachutes,
Faisant, sous le soleil, voler trois acariens.
Le premier atteignit les sables sahariens,
Et, dans une oasis, devint joueur de flûte.

Le deuxième acarien, que l'effort ne rebute,
Fit des acrobaties dans le ciel sibérien.
On l'a félicité, il a dit : « Ce n'est rien,
Un puissant tourbillon m'a pris dans ses volutes ».

Le dernier acarien a parcouru deux mètres
Et s'est trouvé piégé au bord de ma fenêtre,
Pris par une araignée avec du fil collant.

Ce troisième larron fit le plus fier poème,
Disant : « Sur mon tombeau, n'offrez nul chrysanthème ;
Je reste, pour toujours, un acarien volant ».
   une disparition


J'aimais lire autrefois des récits incroyables,
Et dans les temps présents, je ne m'en lasse pas ;
Or je pense à celui qui jadis me frappa :
Il expose à nos yeux le destin effroyable

D'un homme qui, un soir, a rencontré le diable,
Lequel en un échange inégal le trompa,
Dont souffrit ce héros jusqu'au seuil du trépas,
Tant la perte subie était irrémédiable.

Tout seul, il doit aller vers cette triste fin ;
Le voici déjà vieux, prochainement défunt,
Et c'est un crève-coeur pour l'auteur du poème.

Celui que l'on a vu si vigoureux gaillard
Ne saurait nullement être un digne vieillard :
Peter Schlemihl n'est plus que l'ombre de lui-même.





une bénédiction

Tel, poursuivant son ombre au décours des saisons
En gagna le renom de fou par excellence.
Un jour de Grand Midi, et donc de nonchalance,
A un passant quelconque il donna ses raisons.

L'autre lui demanda : « N'as-tu point de maison
Où tu pourrais t'asseoir, dans l'ombre et le silence,
Nous épargnant ainsi ta folle turbulence ? »
Mais lui, sans avertir, se mit en oraison.

« Seigneur, soyez béni pour ce fantôme obscur
Qui allonge son corps sur les pavés bien durs,
Devant vous, tout le jour, il glisse et se prosterne. »

Le passant retourne à son labeur de manant.
Il voit qu'il ne pourra fouler le continent
Que hante le rêveur, et cela le consterne.
                                                   Un vieux sylphe

Un vieux sylphe a bu
Un litre de vin,
Un rêve divin
Lui est advenu.

Un vieux sylphe a lu
Hier soir, du latin ;
Il n'a, ce matin,
Pas tout retenu.

Il n'a rien compris,
Il a dans l'esprit
Beaucoup d'autres choses :

L'oiseau revenu
D'un monde inconnu,
Et l'odeur des roses.