les treize penseurs
Jules Renard me dit : « Tu mets les mots en cage, De ton oisiveté veux-tu gloire tirer ? » Caton : « Tu dois découdre, et non point déchirer ». Blake : « Vois-tu le ciel dans une fleur sauvage ? » Sylvain Tesson me prend pour l'idiot du bocage, Perrault est satisfait, qui me voit l'admirer ; Vigny est honoré de pouvoir m'inspirer, Lincoln m'offrirait bien son plus bel attelage. Le Clézio m'a offert un joli brin de laine ; Marcel Pagnol me donne une bouteille pleine, Paul Déroulède joue du clairon dans le soir. Sacha Guitry m'apprend comment être fidèle ; Natsume Sôseki me montre une hirondelle, Cioran m'aide à fleurir les murs de l'abattoir. |
la pure insignifiance
Voici quatorze grains de pure insignifiance Dont tu peux, si tu veux, te faire un chapelet. Ça n'eût pas convenu au moine Rabelais Qui sa science voulait assortie de conscience. La cause est que je n'ai pas assez de patience Pour fignoler le vers, la strophe ou le couplet, Et je m'arrête vite à la forme qui plaît A mon esprit futile et à mon insouciance. Peu importe après tout, c'est écrit sur du vide, Cela ne sonne pas plus que la voix timide D'une grenouille verte installée dans un puits. Dans des temps très anciens j'aurais été un barde, Mais ici-bas je suis une plume bavarde Espérant la lumière en plein coeur de la nuit. |
J'écris au bord de l'eau
Assis au bord de l'eau, je compose un sonnet Directement au dos d'une carte postale ; J'enverrai cette fleur à quatorze pétales A une amie de coeur qu'au lointain je connais. Ce serait un haïku, si j'étais japonais ; Illettré, ce seraient trois fleurs sentimentales. Car, puisqu'ils n'avaient point même langue natale, Homère un autre chant que Virgile entonnait. Boîte aux lettres, quand tu détiendras ce courrier, Que vienne le postier, sans se faire prier, Le prendre et le porter où vit ma douce amie. Facteur, quand tu verras la belle en son château, Donne-lui mon écrit tracé au bord de l'eau, Puisqu'il contient mon coeur, mes soupirs et ma vie. |