Le sens d'un vocabulaire


Jean-Baptiste Berthelin pour la revue Alliance numéro 103 (1996)


Sur l'usage de « belle » et « beau » dans les appellations de parents par alliance






    Alors que, dans les bonnes familles, le « gendre » et la « bru » ont reçu leurs appellations (respectivement latine et germanique) depuis les onzième et douzième siècles, on ne parle de beaux-parents que depuis une époque beaucoup plus récente ; nous allons brièvement examiner comment chacun d'eux a pu faire son entrée dans le cercle de famille.

    Notre principale source, le Petit Robert, donne pour plus ancien le beau-frère (1386). Il est remarquable que, jusque de nos jours, ce soit également cette figure qui alimente maintes visions stéréotypées (pas toujours bienveillantes). On peut interpréter l'élément composant « beau » comme la marque d'un usage certes métaphorique, mais néanmoins fort sérieux. Un « beau » frère doit être traité fraternellement, tout comme un frère d'armes. A cela, deux principales motivations, d'ailleurs liées l'une à l'autre, chez nos ancêtres les seigneurs francs. D'abord, la possibilité d'étendre à divers voisins l'interdit portant sur les guerres « fratricides ». Mais surtout, une fois établi ce principe de bon voisinage, la garantie pour le chef d'une lignée de pouvoir confier ses fils à leur oncle maternel « inamovible ». Il s'agit d'une survivance du système matriarcal dans lequel la mère désignait son frère aîné comme « père » et chef de lignée. Cet usage se justifiait encore pour des raisons pédagogiques (moins de tensions entre oncle et neveu qu'entre père et fils) et aussi, il faut le dire, parce que les jeunes ainsi placés dans le fief voisin jouaient un rôle d'otages, renforçant de façon concrète la « paix fraternelle » souhaitée. Les plus célèbres « beaux-frères d'armes » sont Roland, neveu de Charlemagne, et son compagnon Olivier.

    La belle-soeur, nous dit le Robert, est mentionnée à partir de 1423. Ici, le risque à conjurer n'est pas la guerre, mais une forme particulière d'inceste : sachant que la maîtresse de maison gardait souvent pour compagnes ses soeurs non mariées, il est probable que l'Eglise ait cherché à rappeler, au quotidien, le danger particulier que cela pouvait représenter pour les moeurs, dans des demeures où le maître de maison se considérait comme investi d'une autorité incontestable sur tout son « personnel ».

    La même situation peut d'ailleurs se présenter dans le cas d'une belle-mère encore jeune, et devenue veuve. Pour ce mot, le dictionnaire ne donne pas de date précise, mais une période « début quinzième » qui le rend donc contemporain du précédent.

    Enfin beau-père n'apparaît qu'en 1457, soit peu après la fin officielle du Moyen Age. On peut conjecturer que ce dernier personnage, peu valorisé dans un monde guerrier, devient plus respectable au fur et à mesure que l'urbanisation du monde fait émerger des dynasties pacifiques de marchands et de lettrés, pour lesquelles la génération affaiblie par l'âge ne se retrouve pas ipso facto dépouillée de son pouvoir économique ou décisionnel. De plus, il est la preuve que la famille de l'épouse n'est plus considérée comme alliée littéralement fusionnée avec la première, comme cela se produisait autrefois.

    Toutes ces considérations ne sont que de simples conjectures au vu des dates d'apparition de ces termes familiers, assorties de réminiscences de lectures comme Le Chevalier, la Femme et le Prêtre de Georges Duby (Le Livre de Poche, collection « Pluriel »).

    Le point de vue adopté est résolument « patriarcal », à savoir que c'est d'abord le chef de famille qui est censé avoir l'usage de ces quatre relations, alors que bien évidemment elles existent aussi pour son épouse, ainsi que pour les célibataires de la lignée. L'apparition de ces termes correspond au succès du patriarcat et au triomphe de la famille nucléaire sur la famille large.