Sur le Voyage en Laponie (La Différence,
319 pages, juin 2002, ISBN 2-7291-1412-2, 10 euros)
de Carl von Linné par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




sans rapport avec un logogramme de Christian Dotremont              En 1732, au lendemain de la publication des souvenirs lapons de Jean-François Regnard, Carl von Linné, alors étudiant en botanique à l'Université d'Uppsala, accepte une mission en Laponie. Tout au long de cette odyssée pédestre, il tient un carnet de bord où cohabitent du suédois, du latin et de charmants croquis explicatifs.

Il lui est demandé d'instruire l'histoire naturelle de Laponie, concernant les pierres, les terres, les eaux, les herbes, les arbres, les céréales, les mousses, les quadrupèdes, les oiseaux, les poissons et les insectes, ainsi que les maladies, la santé, la diététique, les moeurs et les manières de vivre des hommes.
       
Il quitte donc Uppsala et fait route vers le Nord. Il décrit au passage les minéraux, végétaux et animaux remarquables. Il traverse des champs de lin et voit de magnifiques églises. La population se fait plus clairsemée, les bouleaux sont de la variété naine. C'est le Grand Nord. Les montagnes abritent des lagopèdes et de grands hiboux. Les pommes de terre ne sont pas plus grosses que des coquelicots. Au lieu de foin, on donne aux vaches des écorces de tremble. Les plantes s'appellent botska, juemo, jokno, supp et tagnas, et les animaux seeipnok, gietsk, wanza, hapak et gwerk : tels sont les noms lapons de l'angélique, de l'oseille, de l'airelle, du tremble et de la bruyère, ainsi que du loup, de l'hermine, de la poule, de l'épervier et de la grue. Le patrimoine du Lapon est un troupeau de cinquante rennes pour les plus pauvres, de mille pour les riches. Les troupeaux se mélangent, mais chacun finit par reprendre son bien.

La Saint-Jean d'été arrive, et avec elle, les saumons, les moustiques et plusieurs sortes de renards. Le soleil de minuit surplombe les montagnes. La neige semble une eau frémissante. Les rennes sont innombrables, comme les arbres d'une forêt. Et notre naturaliste marche toujours d'un bon pas. Il arrive en Norvège. Il faut franchir un glacier, puis un lac, puis des marais. Infatigable, il marche et prend des notes.

En continuant vers l'Ostrobotnie, il rencontre de plus en plus de Finnois, qui ressemblent par certains côtés aux Lapons. C'est un pays pauvre, où le pêcheur dispute le poisson aux phoques voraces. Une route maritime rejoint la province d'Angermanie, endroit remarquable par son commerce, car les vendeurs y accordent de substantiels crédits, afin de pousser à la consommation. Le chemin du vaillant étudiant referme enfin sa grande boucle. Une à une, reparaissent, dans le paysage, les espèces végétales qui lui sont familières. La mission se termine à bon port.

Curieusement, Linné n'a jamais publié ce journal de voyage. Cependant, son oeuvre et sa correspondance montrent que cette excursion en Laponie l'a profondément marqué. L'Université d'Uppsala donne, en 1913, une première édition du texte. En 1983, Turid Wadstein et Paul-Armand Gette en donnent une version française, dont le présent volume est la réédition. Le texte est précédé d'un avertissement, d'une présentation et d'une biographie de Linné. Ce qui est en latin dans l'original est conservé tel quel, et une traduction est indiquée en note. L'ensemble constitue un agréable document scientifique, mais loin d'être austère, car il traduit la joyeuse soif d'apprendre d'un étudiant de vingt-cinq ans, déjà persuadé d'être une figure majeure de la science de son temps.