Sur le Voyage de Laponie (Ennoïa,
167 pages, premier trimestre 2006, ISBN 2-914894-14-7, 12,50 euros)
de Jean-François Regnard par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




d'après un tambour magique de Laponie              Voyageant pour sa curiosité, Regnard rend visite, un jour de l'été 1681, au roi Charles XII de Suède. Le roi lui conseille d'aller admirer la Laponie. Il s'embarque donc pour Tornio (aujourd'hui en Finlande), ville la plus septentrionale du royaume. De là, il va remonter les cours d'eau, pour gagner les profondeurs du territoire lapon. Il chasse pour assurer sa subsistance, et recueille les récits de divers personnages, notamment des prêtres, qui parlent latin. Ainsi, il recueille des explications sur le baptême, le mariage et les enterrements. Sans doute les a-t-il recoupées, par la suite, avec celles de Johannes Scheffer, auteur du traité Lapponia de 1673, traduit en 1678 par Augustin Lubin sous le titre Histoire de Laponie. Mais Regnard a pour lui une grâce de style qui fait que son ouvrage n'est nullement superflu.
       
Notre voyageur a bientôt l'occasion d'admirer des troupeaux de rennes. Il note les points par lesquels cet animal diffère de son cousin le cerf, le principal étant son apprivoisement. Cependant, il en subsiste de sauvages, utiles comme producteurs de vigoureux hybrides.

En prenant contact avec des Lapons de diverses provenances, Regnard finit par rencontrer un pratiquant de leur sorcellerie traditionnelle. Ce magicien a pour instrument un tambour de bois, couvert d'une peau de renne sur laquelle sont tracées des figures sacramentelles. Muni de cet accessoire, il se livre pour commencer à quelques divinations, qui sont un succès. Le voyageur lui demande alors de faire venir de France un trousseau de clés, qu'il lui décrit. N'y parvenant pas, le mage se confond en excuses, disant : Ton démon est plus fort que le mien, je t'en félicite.

Suit une visite au dieu Seyta, dont une statue de pierre orne une île du lac Torneträsk. Le christianisme des Lapons laisse place à un fort reste de dévotion pour cet être, également appelé « Lieutenant de Thor », qui préside aux différents écosystèmes de la contrée.

Gagnant le bout du lac, Regnard y consacre, en souvenir de son expédition, une roche pour laquelle il crée le nom de Metawara, du latin pour borne et du finlandais pour roche. Sur ce bloc de pierre sont inscrits quelques vers signalant son passage. L'endroit étant peu fréquenté, Regnard affirme que cette inscription sera surtout lue par les ours.



(En fait, l'explorateur Aubry de la Mottraye la lira en 1718).

Sur le chemin du retour, il rencontre un autre sorcier, qui se met pour lui dans une transe spectaculaire. Mais il n'a presque plus de pouvoir de divination, car il lui manque des dents. Les voyageurs se contentent donc de l'abreuver d'alcool, pour voir s'il a le pouvoir d'y résister. Puis ils s'instruisent sur la vie domestique et sur les animaux.

Repassant par la ville de Tornio, ils sont conviés à un grande cérémonie pour l'enterrement d'un ecclésiastique. Tout commence dans la solennité et la dignité, pour s'achever dans l'abus de boissons qui enivrent, et le fou-rire incontrôlable. Ces festivités se prolongent plusieurs jours, au cours desquels ils ont droit aux bienveillantes attentions d'un francophone amateur qui leur dit, entre autres tournures pittoresques : La grande ciel conserve vous ! et n'oublie pas de les abreuver à toute heure du jour. Puis ils regagnent la civilisation, ayant fait provision d'impressions exotiques pour bien des années.

Cet ouvrage, qui ne prétend pas à autant d'érudition qu'en montrera par la suite le jeune Linné, est néanmoins plein d'enseignements, notamment sur les pratiques chamaniques ici désignées comme "sorcellerie". De plus, il rend bien les ambiances, fait vivre les personnages et procure un authentique plaisir de lecture. C'est donc une bonne approche de la Laponie d'autrefois et de toujours.