encore un sonnet
Cochonfucius vu par Stéphane Cattaneo








Cette intervention prend la forme d'un sonnet.

S'agit-il d'un sonnet nocturne ? Peu importe.

les cavaliers

C'est un cavalier jaune, il veut que je lui dise
Ce qu'est une émotion. Je lui dis : « La notion
N'est pas bien définie, oublie donc ta question,
Elle conduirait à de vaines analyses. »

C'est un cavalier mauve, il veut que je précise
Ma dernière allusion. Je lui dis : « La pulsion
Qui produit ta demande est le fruit d'illusions.
Répondre, de ma part, serait une sottise ».

Au cavalier orange un mot de balistique,
Puis au cavalier rose un cours de linguistique,
Sur le même refrain, la réponse est « Zéro ».

Pour le cavalier rouge, aimant les théorèmes,
Je compose aujourd'hui ce modeste poème ;
Jamais je n'eus de don pour les cours magistraux.


   les fous

Le fou jaune me parle, et veut que je lui dise
Comment valoriser ses quelques inventions.
Je lui dis de passer par leur divulgation,
Mais il semble douter d'une telle analyse.

Le fou mauve survient et veut que je précise
Comment éliminer fantasmes et pulsions.
Je lui dis de surtout relâcher la pression,
Puisque « Tout va très bien, Madame la Marquise ».

Au fou orange, un mot sur son métabolisme,
Au fou rose un avis concernant les sophismes,
Frappés, dans les deux cas, de la note « Zéro ».

Concernant le fou rouge, il a un vrai problème,
Alors, je lui dédie ce modeste poème ;
Peut-être vais-je aussi lui offrir l'apéro.



les rois

Le roi jaune a voulu obtenir la richesse,
Je lui dis qu'il est bon pour un roi d'être nu.
Le roi mauve a rêvé d'une histoire de cul,
Je lui dis qu'il se doit d'agir avec noblesse.

Le roi orange veut s'enfoncer dans l'ivresse,
Je l'avertis du sort de ceux qui ont trop bu.
Le roi rose inventa des gadgets de son cru,
Je dis que là n'est point la divine sagesse.

Le roi rouge veut être un puissant souverain,
Je lui dis : « Ne sois pas ce monstre que l'on craint,
Nous préférons les rois qui sont ce que nous sommes ».

Les cinq rois ont vaincu les cinq mauvais penchants,
C'est ce que je proclame en écrivant ce chant :
De rois qu'ils ont été, ils deviendront des hommes.


  les dames

La dame jaune craint les plumes érudites,
Je lui dis : « L'érudit, on le prend comme il vient. »
La dame mauve a des effrois lucifériens,
Je dis : « Dormez en paix, le diable vous évite ».

La dame orange craint les licornes maudites,
Je dis que la licorne aux dames ne fait rien.
La dame rose a peur du temps briseur de liens,
Je dis : « Quand un lien meurt, souvent, il le mérite. »

La dame rouge craint les vieux corbeaux tordus.
J'ai réfléchi un peu, et puis j'ai répondu
Que les corbeaux tordus sont surtout ridicules.

Cinq dames grâce à moi ont cessé d'avoir peur,
Demain j'irai parler à la dame de coeur,
Car elle est angoissée, quand vient le crépuscule.



un coup de dés un coup de dés

Cinq coccinelles

La coccinelle rouge annonçait une fête,
Mais elle n'a point dit en quel temps, en quel lieu ;
La coccinelle jaune, un astre dans les cieux
Que trouveront nouveau le barde et le prophète ;

La compagnie en fut quelque peu stupéfaite :
La coccinelle orange, un insecte fort pieux,
A prédit du bonheur pour tous, jeunes et vieux,
Ou bien, au minimum, une journée parfaite.

La coccinelle rose a dit : « L'automne arrive
Et nous allons bientôt passer sur l'autre rive
Afin de profiter des beautés de l'hiver ».

La coccinelle mauve a dit : « Dans nos étreintes,
Nous ne nous sentons point tenues par la contrainte
De commenter la chose en composant des vers ».


    Cinq valets

Le Valet Jaune a pris la carte où la sirène
S'apprête à consulter la sorcière des mers ;
Le Valet Mauve a pris celle où le lézard vert
Sur sa guitare joue pour l'amour d'une reine.

Pour le Valet Orange, un bateau sur la Seine ;
Pour le Rouge, une cage aux fins barreaux de fer
Dans laquelle un grillon récite du Prévert.
Le Valet Rose hésite entre la marjolaine

Et le catoblépas, puis prend le tamanoir.
Le Maître a conservé, aux tréfonds d'un tiroir,
Cinq fidèles copies de ces cartes étranges.

Mais ce tiroir magique altère les dessins,
Tandis que les valets permutent, à dessein,
Les cartes qui sont leurs, en de nombreux échanges.



Cinq éléphants

C'est un éléphant jaune, il voudrait que j'achète
Les trois mille bouquins qu'il a dans son bureau.
Je lui ai répondu que je n'y tiens pas trop,
Ce ne sont que sonnets par de maudits poètes.

Alors l'éléphant mauve organise une fête.
Je lui dis qu'il me faut avant tout du repos,
Afin d'être, demain, suffisamment dispos
Pour que l'oeuvre du jour soit correctement faite.

L'éléphant orange offre une métaphysique,
Le bel éléphant rose, un breuvage alcoolique,
Je les ai donc laissés se débrouiller entre eux.

Mais l'éléphant de sable enseigne le silence.
C'est donc en sa faveur que penche la balance,
Avec lui, sans parler, je suis un homme heureux.


   Cinq crocodiles

Le crocodile jaune a dit : « Soyez fidèles
A Dieu, à votre femme et à votre nation ».
Je lui ai répondu : « C'est une aberration,
Car la fidélité, c'est pour les hirondelles. »

Le crocodile mauve a dit : « La vie est belle,
Faites-en chaque jour une célébration. »
Je lui ai répondu : « De ton affirmation,
Je retiens, simplement, qu'elle n'est pas nouvelle ».

Le crocodile orange apprécie l'abstinence,
Le crocodile rose, une humble transcendance.
Alors, je leur ai dit : « Faites ça entre vous ».

Le crocodile rouge aime les vers stupides,
Je lui dis : « Grâce à Dieu, c'est un plaisir limpide
Que partagent le sage et son cousin le fou. »




l'éléphant de sable

Pictagore 2

Cinq ornithorynques

L'ornithorynque jaune a dit : « Pas de complaintes,
La poésie c'est pour proclamer le bonheur ».
J'ai répondu : « Si tu peux faire le donneur
De leçons, ta sagesse est absolument feinte ».

L'ornithorynque mauve a dit : « Vivre m'esquinte,
La poésie c'est pour étaler mon malheur ».
J'ai répondu : « Si tu donnes trop de valeur
A tes ennuis du jour, tu vivras dans la crainte ».

L'ornithorynque orange est désolé de vivre,
L'ornithorynque rose aime être toujours ivre,
Je leur ai dit de prendre un peu plus de recul.

L'ornithorynque rouge a écrit un poème
Dans lequel il résout plusieurs de mes problèmes,
En me disant : « Vas-y, tout droit, et sans calcul ».


   Cinq maisons

Dans une maison mauve habite un Australien,
Un buveur de café dans la maison de briques.
Il ne boit que du thé, le voisin ibérique ;
Le Néo-Zélandais possède un petit chien.

Près de la maison bleue, au Un, le Norvégien.
Le fumeur de Dunhill élève des bourriques.
Ceux du numéro trois ont du vin en barriques.
Ce sont des Marlboro que fume le Malien.

Dans une maison jaune, on fume des Gauloises.
On note un voisinage entre brique et ardoise.
Le fumeur de Camel boit de la bière à flots.

Or, les Gauloises sont d'un éléphant voisines ;
On trouve la Gitane auprès d'une lapine.
Qui possède le zèbre ? Et qui est buveur d'eau ?