Sur le Pop Wooh (Castor Astral,
251 pages, février 2002, ISBN 2-85920-491-1, 13 euros),
édition de Pierre DesRuisseaux par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres




les corps n'ont pas prié, mais les porcs ont crié              Ce texte, souvent comparé à notre Ancien Testament, expose les mythes cosmogoniques de la nation maya, et relate son histoire antique. Il commence par une sobre déclaration : Ici nous écrivons, ici nous fixons les anciennes paroles. Grâce à la vivante traduction de Pierre DesRuisseaux, à ses notes instructives et à sa belle introduction érudite, ces anciennes paroles trouvent un nouveau souffle.

Selon cette tradition du fond des âges, tout commence par une assemblée, entre mer et ciel, de six démiurges : un Créateur, un Concepteur, un Homme de l'Infini, un Serpent à plumes, un Père et une Mère. Ce sont là six émanations du Sans-Forme unique, ineffable et inconnaissable.

Le petit groupe de démiurges se livre à une première création du monde. Ils font surgir des eaux les plaines et les montagnes, puis leurs rivières et toutes sortes d'animaux sauvages. Mais aucun animal ne sait prier à haute voix. On fabrique alors des hommes en bois, qui ne parviennent pas non plus à invoquer correctement les dieux. Alors, la destruction frappe cette première ébauche du monde terrestre. Seuls subsistent quelques sagouins : ces singes arboricoles ne sont autres que les descendants des hommes en bois.


Au temps de la deuxième création, un imposteur disait : Je suis la Lumière, je suis le Soleil, mieux encore, je suis la Lune. Mais c'était faux. Les dieux le firent massacrer, lui et ses deux fils, par un justicier, avec l'aide d'un vieil arracheur de dents.

Le justicier ainsi introduit dans le récit sera la figure centrale de la troisième création, au cours de laquelle il affronte les Seigneurs de l'inframonde, sombre univers souterrain que traverse le Soleil d'Ouest en Est pendant la nuit. Ces sinistres dirigeants du monde obscur avaient convoqué son père pour le soumettre à des épreuves insurmontables, et, au vu de son échec, le décapiter. La tête avait trouvé refuge dans un arbre fruitier, qui attira une jeune fille noble. Neuf mois plus tard, naquit notre héros justicier.

Il prend place au domicile de feu son père, où se trouve déjà son frère aîné, qui naquit longtemps avant le tragique voyage paternel. Il élimine ce personnage en le métamorphosant en singe frugivore. Puis il va, comme son père, subir les épreuves que proposent les Seigneurs de l'inframonde, et les franchit victorieusement. Il se fait quand même décapiter. Mais un animal plein d'astuce, le coati, transforme un gros fruit en fausse tête parlante qui trompe les Seigneurs pervers, de sorte que le Justicier peut récupérer la sienne.

Les Seigneurs s'interrogent sur son éventuelle invulnérabilité. Et de fait, chaque fois qu'ils parviennent à le faire mourir, il ressuscite immanquablement. Finalement, il triomphe d'eux, et monte au ciel.

La quatrième création est la bonne. La chair des quatre premiers hommes est élaborée par les démiurges, à partir de grains de maïs qu'ont fournis Yac le chat, Utiu le coyote, Quel la perruche et Hoh le corbeau. Ces premiers humains sont omniscients, chose dont les démiurges finissent par se lasser. Ils réduisent l'entendement de leurs créatures à des proportions bien plus modestes. Puis ils créent quatre belles femmes. Les humains se multiplient, découvrent le feu et se séparent en plusieurs nations.

Les langues se diversifient. Chaque nation apprend à effectuer des sacrifices rituels. On immole notamment quelques guerriers d'une tribu dont les chefs, par vengeance, envoient deux jeunes filles séduire les dieux au moment de leur baignade. Au retour de cette mission, elles rapportent un manteau ensorcelé qui fait mourir l'un des imprudents chefs. Le conflit s'envenime, mais finalement les tribus font leur soumission.

Le document se termine par des indications généalogiques portant sur quatorze générations de seigneurs, et ceux de la Maison du Jaguar voient leur gloire particulièrement exaltée.

Ce texte, issu d'un passé fort lointain, présente de remarquables qualités structurelles et stylistiques. Pour mieux en restituer la saveur typique, Pierre DesRuisseaux a fait appel à l'expertise de Daisy Amaya, héritière de ces antiques traditions. Ainsi, les protagonistes de cette épopée maya nous apparaissent sous leurs vraies couleurs, et semblent nous parler en leur propre langue.