Sur Regards singuliers, voix plurielles de Thierry Renard
(La Passe du Vent, 161 pages, septembre 2005, ISBN 2-84562-089-6, 10 euros),
par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


les mots font danser les choses                Durant la saison 2003-2004, le projet Regards singuliers, voix plurielles a consisté à recueillir, au cours d'entretiens individuels, les propos de douze adolescents ou jeunes adultes de la célèbre cité des Minguettes, à Vénissieux près de Lyon. L'écrivain Thierry Renard a alors travaillé ce matériau pour en faire douze chapitres qui sont autant de portraits ayant valeur de témoignages. L'auteur focalise son écriture sur la dimension personnelle et poétique de ces contributions, donnant au recueil un ton un peu rêveur qui en fait tout le charme.
       


Le premier de nos héros a un peu moins de vingt ans, et se passionne pour la photographie. Il associe ce thème avec les mots « fou » et « grave », qui résument les exigences de créativité et de professionnalisme qu'il découvre en apprenant à capturer les images de son quotidien. Il acquiert, jour après jour, une grande patience qui lui servira dans ses futures épreuves.

Ensuite vient une jeune mère, qui veut être un ange gardien pour sa fille. Des exils successifs et l'indifférence de beaucoup de gens la font souffrir, mais elle garde tous ses espoirs, soutenue par sa pratique sportive et son amour de la musique.

C'est d'ailleurs un point commun à tous les chapitres qui suivent, cette opposition entre « galère » objective et optimisme ressenti. Que ce soit la difficile quête d'un emploi, le contact avec des citoyens xénophobes ou les conflits dans la famille, toutes les adversités sont vues comme des occasions de progresser. L'un d'eux, par un lapsus révélateur, parle de sa bienvaillance, et c'est vrai que la vaillance et la bienveillance sont recommandées lors de tels affrontements avec l'existence.

Certains de ces jeunes écrivent pour eux-mêmes, et livrent parfois des bribes de ces écrits à Thierry Renard, qui peut ainsi rehausser tel ou tel portrait d'une citation qui nous rend le personnage plus familier. En quittant l'insouciance de l'enfance, ces jeunes ne perdent pas tout enthousiasme. Ils cultivent leurs bons souvenirs, et entretiennent des projets plus ou moins ambitieux. C'est surtout le présent qui crée des malaises.

Souvent ce présent évoque une friche. Jours vides, nuits d'errance, musique en boucle. Mais de tels passages à vide sont sans doute nécessaires à certaines maturations internes. Apprendre à confronter le rêve et la réalité, cela ne se fait pas en un jour. rien n'est acquis d'avance, ni l'insertion professionnelle, ni l'épanouissement, ni l'apaisement.

Au départ, ce projet visait à décrire le vécu des jeunes des banlieues, dans sa spécificité. Mais à force de les entendre parler, Thierry Renard a découvert que ces adolescents et jeunes adultes, loin d'être cloîtrés dans un ghetto, vivent en résonance avec l'immensité de ce monde que partagent tous les humains. Ne serait-ce que pour cette conclusion éclairante, l'ouvrage remplit le contrat du projet initial, à savoir, montrer que ces douze personnages, comme tant d'autres, sont des témoins qu'il faut savoir entendre.