encore un sonnet
Cochonfucius vu par Stéphane Cattaneo








Cette intervention prend la forme d'un sonnet.

S'agit-il d'un sonnet nocturne ? Peu importe.

un camembert sans squelette

Exercice de style, ou jaillissement pur ?
Le fait d'avoir un peu apprivoisé la forme
Permet-il d'éveiller les sentiments qui dorment,
Ou n'est-ce que de l'encre étalée sur un mur ?

Est-ce pour confirmer ce dont je ne suis sûr,
Ce que je crois trop vain, trop idiot, trop énorme
Que j'aligne mon texte en respectant la norme ?
Envers mes illusions, ne soyez pas trop durs.

Quant à noyer mes vers au jus de la bouteille,
Je le fais certains jours, à l'ombre d'une treille,
Mais la sobriété me guide, au quotidien.

Qu'on trouve peu de sens à mes oeuvres frivoles,
C'est que facilement je fuis et je m'envole
Vers un monde onirique où le sens ne m'est rien.


***


Un clair-obscur

Dans un monde envahi d'obscure transparence,
Que peut-on discerner sous ces sombres éclats ?
Ici n'est point le lieu d'une remise à plat,
Ni d'un essai savant sur l'être et l'apparence.

Or, certains jours, ma vie n'est qu'une déshérence,
Mon métier me paraît un piètre apostolat,
Et mes chefs ont un peu l'aspect de cancrelats
(Si j'ose formuler pareille irrévérence).

N'importe, il faut agir, les autorités veillent,
Puis, il faut accueillir les projets qui s'éveillent
Aux mains des ingénieurs surchargés de talent.

Que ne suis-je un errant chanteur de villanelles,
Ou bien, pour composer des oeuvres plus formelles,
En une cour royale, un poète galant !


         Quatre océans de solitude

      J'ai rêvé que j'étais sur une île déserte,
      Et que j'avais perdu, piètre navigateur,
      Mon navire aux récifs traîtres de l'Equateur.
      Sur l'île je faisais d'étranges découvertes.

      J'entendais discourir un arbre aux feuilles vertes
      Qui de toute pitance était distributeur,
      Et de livres aussi, faits par les bons auteurs ;
      Et pour dormir la nuit, il donnait des couvertes.

      Je vis un lac de rhum ambré aux belles plages.
      Il m'a suffi, d'ailleurs, d'errer sur son rivage,
      Respirant ses vapeurs, je fus ivre bientôt.

      Et dans ce double état de rêve et de délire,
      Mon cerveau mélangeait le meilleur et le pire,
      Jusqu'au brutal réveil -- sur le pont d'un bateau.


***


Dans le fond des enfers

Certaines nuits d'hiver, notre existence est rude ;
Mais il faut toutefois relever ce défi.
Je vais mobiliser ici mes aptitudes
Pour décrire un curieux cauchemar que je fis.

Je m'étais endormi, abruti par l'étude.
Dans le fond des enfers la nuit me conduisit
Où je fus enfermé en grande solitude ;
Dans mon coeur un ennui profond s'introduisit.

Pas de fleurs en ce lieu et, pas même, une ronce.
Pas l'ombre de question, pas même, une réponse.
Mon pauvre coeur était lourd comme un ciel d'hiver.

Par chance il me restait un peu de ma mémoire
Qui parmi mes écrits a puisé cent histoires ;
Ma joie est revenue au rythme de ces vers.





les fourmis

Les fourmis parcourant le tronc du marronnier
Suivent obstinément leur route verticale.
C'est trop tôt dans l'année pour trouver des cigales,
Pas trop tôt cependant pour remplir les greniers.

Comme il les satisfait, leur labeur routinier,
Comme leurs journées sont entre elles bien égales !
C'est le meilleur aspect de la vie monacale :
Manger, pour les fourmis, c'est toujours communier.

N'en est-il pas ainsi du peuple des bureaux ?
Ruche peu bourdonnante, armée sans généraux,
Moines au scriptorium dans la lumière grise.

Combien j'aimerais mieux être nuage au vent,
Ou un débris d'épave en la mer dérivant,
Ou du vieux marronnier la feuille dans la brise.


   sonnet des profondeurs

Jules Verne a montré qu'on pouvait visiter
Les sombres profondeurs de la planète Terre.
Il en a dévoilé plus d'un obscur mystère
Qu'il était le premier à pouvoir nous citer.

Si le texte de Verne a dit la vérité,
Il me plairait d'aller parcourir, solitaire,
Ces gouffres égalant de nouvelles Cythères
Où d'heureux sentiments trouvent à s'abriter.

On me dit cependant que ce monde est fictif,
Que seuls des minéraux sous le sol sont actifs,
Au-delà du passage indiqué par les runes.

Si Jules dans son oeuvre a manié l'illusion,
Au monde souterrain ne ferons intrusion
Mais resterons ici avec Soleil et Lune.



Exercice d'infernologie

Supposons qu'un enfer abrite des vivants...
Ils s'y habitueront, puisque la vie est telle
Qu'on s'habitue à tout. Donc, la peine éternelle,
Même si des censeurs trouvent ça décevant,

Se banaliserait. D'accord, c'est énervant.
On peut la rendre aussi chaque jour plus cruelle.
Mais un simple calcul sur les différentielles
Nous montre les damnés, méme en ce cas, trouvant

Comme du réconfort à cette augmentation,
Sachant que chaque jour est leur lamentation
Moindre qu'au lendemain. Cette vie infernale,

Où donc la trouve-t-on ? En un astre lointain,
En un espace-temps au statut incertain ?
Ou, tout simplement, sur notre terre natale ?


    Conseils d'un inconnu

N'écris pas trop limpide, écris comme un vivant.
Trouble soit ta chanson, puisque la vie est telle.
Sache surtout que nulle amour n'est éternelle,
Même si ton surmoi trouve ça décevant,

La vie est un enfer. D'accord, c'est énervant.
Elle n'est, pour autant, chaque jour si cruelle ;
L'horreur de certains soirs est une horreur partielle.
Nous voyons le poète, en de tels cas, trouvant

Dans ces sursauts d'espoir, matière à narration,
Mais le malheur aussi est une inspiration.
N'écris pas que la vie est toujours infernale,

Ce n'est pas ta mission. Montre, dans le lointain,
Comment prend consistance un bonheur incertain
Fait de douce lumière et de saveurs banales.