la transcription
Tout ce qui devient texte est parole qui meurt. Le premier qui apprit à geler un message Fut comme ceux qui tuent les oiseaux de passage, Il avait un penchant mortel dans son humeur. Peut-on écrire un rire, orthographier un pleur, Transcrire le jargon d'un idiot de village ? La langue en résistant nos plumes décourage Comme notre pinceau se décourage aux fleurs. Un mot qui dans le coeur mit trois jours à mûrir, Fixe-le au papier, tu le feras mourir, Comme du papillon l'aile devient poussière. Des sages d'autrefois retiens le sobre avis : Ecrire c'est vouloir arrêter les rivières ; La langue est hors la loi, comme tout ce qui vit. |
un papillon
Un papillon de mai vole auprès du canal, L'eau en est noire et froide, immobile et profonde. Cet azur printanier vient-il de l'inframonde ? Porte-t-il avec lui un message infernal, Ou sort-il seulement du sommeil hivernal ? A de telles questions, je doute qu'il réponde, D'ailleurs, il n'est plus là, depuis quelques secondes ; Ce n'était qu'un azur fugitif et banal. Le temps que je l'observe, il a quitté la scène ; Préférant au canal les berges de la Seine, Il est parti d'ici pour ne plus revenir. Ainsi à notre esprit des idées apparaissent, Puis meurent dans l'instant où l'on s'y intéresse, Sans que nous en gardions le moindre souvenir. |
Saint-Jean d'été
Le roi qui trop aimait son savoir sans saveur Sourit en recevant cette carte lancée Dans son courrier par la dame de ses pensées. S'il ne croit mériter une telle faveur, Il est réconforté d'une telle ferveur Et que se continue l'histoire commencée. Si son âme parfois est décontenancée, Si son esprit soudain en est rendu rêveur, Il suivra malgré tout l'aventureux chemin Qui va de chaque jour à chaque lendemain, Il suivra le tracé d'une absence de route, S'arrêtant pour dormir à l'ombre d'un buisson A l'heure où la forêt ne produit aucun son : Mais il entend celui de son coeur en déroute. |
Synchronicité
Apprenons chaque jour la force du silence. Il nous en a fallu, du temps, pour le choisir, Combien nous en avons débattu, à loisir, Mettant sincèrement nos coeurs dans la balance. Je n'écris pas ceci par jeu, par nonchalance, Ni pour faire de l'art, ou me faire plaisir, Mais pour exorciser l'intrusion du désir Bousculant de nos vies la tranquille ordonnance. Si nous l'apprivoisons, nous verrons survenir Chacun au fond de soi, les plus beaux souvenirs, Ni vraiment différents, ni tout à fait semblables : Comme s'ouvrent deux fleurs d'automne, au même instant, Dans deux jardins qui sont l'un de l'autre distants, Et semblent partager un désordre ineffable. |
Quatre pas sur le sable
J'ai rêvé que j'étais étranger sur la Terre, Ne connaissant serpent, aviateur, ni renard. Je voulais m'éloigner avant qu'il soit trop tard Et refermer les yeux sur de trop noirs mystères. J'ai rêvé que j'étais, voyageur solitaire, Emporté dans l'espace aux mille astres blafards, J'ai rêvé que l'essaim de mes rêves épars Ne cessait de danser un ballet funéraire. Il est mort, désormais, l'éclat de ma jeunesse. J'ai vu aussi la mort de ma jeune sagesse ; Une voix m'avertit de celle du grand Pan. Le soir, de çà, de là, d'autres voix me parviennent. Cette vie que je vis, est-ce vraiment la mienne ? Parfois je dis que oui, ou bien non... Ça dépend... |
Dans le lointain
D'un sonnet, certains jours, s'entrecoupe un silence, De mots que, toi ou moi, nous aimons à choisir. Le poids de quelques vers échangés à loisir, Qui dira de combien il charge les balances... Puisque ces jours d'été sont jours de nonchalance, Puisqu'ils sont consacrés à l'exil, aux plaisirs, A la satisfaction de modestes désirs, Accordons-leur d'un chant la subtile ordonnance. Des jours plus ou moins gris peuvent bien survenir : Nous irons nous cacher au creux d'un souvenir Comme au creux d'un rocher, deux escargots semblables. Comme deux papillons qui, d'instant en instant, Avancent au jardin, l'un de l'autre distants, N'ayant pour se parler que gestes ineffables. |
Et si...
Et si des cauchemars surviennent au matin, Fais-leur un bon accueil, ils sont là pour t'instruire. Ils ne possèdent pas le pouvoir de te nuire. Rendors-toi calmement dans tes draps de satin. Des poètes savants l'ont écrit en latin : Dans un cerveau nocturne on peut voir s'introduire Des monstres fabuleux, menaçant de détruire L'esprit désemparé que leur fureur atteint ; Certes, ton âme tremble aux éclats de leur voix, Et leur brûlant regard t'éveilla mainte fois, La sueur inondant tes oreillers de plume. Mais l'esprit les absorbe, ainsi qu'un océan, Et dans sa profondeur dissout leur corps géant Dont il ne restera qu'imperceptible écume. |
la sagesse du jardinier
Le prince qui venait de son humble planète, Qu'il fut désemparé en voyant, par milliers, Des roses lui parler sur un ton familier ! « J'ai déjà bien du mal avec une fleurette, Face à ce nombre-là je cours à la défaite ! » Mais il fut détrompé par un vieux jardinier Qui prodiguait ses soins aux buissons printaniers : « Une rose isolée a su te tenir tête, Car elle est tout pour toi, définitivement. Chaque rose est pour moi un petit élément Qui dans le vaste Tout, n'est rien d'indispensable. L'individu qui sent l'intérêt général En subit la contrainte et l'ascendant moral, Comme au souffle du vent se livre un grain de sable ». |