Homme de cent vingt ans
On n'est pas sérieux quand on a cent vingt ans, N'ayant plus aucun muscle et plus aucune graisse, Le coeur presque immobile, à peine palpitant, Et plus aucun cheveu et ni ventre ni fesses. On ne sait plus du tout comment était le temps Des premiers pas du corps, de la première messe, On ne sait ce que c'est que d'être bien portant. On se sait un vivant, oui, mais de quelle espèce ? Ne reconnaissant plus ce vieux fils d'une femme, Les médecins ont pris son encéphalogramme, Et le signal a dit : « Ça ne va pas très fort. » Ne pouvant plus manger, ayant un regard vide, L'homme de cent vingt ans est hélas trop timide Pour oser demander qu'on débranche son corps. |
une amnésie
-- Si j'allais devenir un vieillard amnésique, Mes mains se souviendraient de certaines rondeurs ; Puis j'entendrais parfois le tonnerre grondeur Et je demanderais de qui est la musique. Amis, ne prenez pas ce symptôme au tragique, Même s'il dévastait ma vie en profondeur, Si ma voix devenait celle d'un répondeur N'ayant que rarement des accents poétiques. -- Rimeur, comment sais-tu, vraiment, ce qu'il en est De ce que pour fléau, partout, on reconnaît ? De ce qui nous désole et qui nous désespère ? Je n'ai pas là-dessus un regard médical ; Ce que j'ai pu savoir, quant à moi, de ce mal, C'est l'autre soir à table, en observant mon père. |