Homme de huit mille ans
On n'est pas sérieux quand on a huit mille ans. Adam a vu passer les sages de la Grèce, L'empire des Romains, les peuples combattants, Les enfants de Caïn qui plus que lui transgressent. Il croit que la nature allait mieux, de son temps, Que l'on pouvait bien vivre en logis de paresse, Que, sans nul médecin, on était bien portant ; Et que la paix régnait au sein de notre espèce. Regrette-t-il d'avoir apprivoisé la flamme Et d'avoir au péché accompagné sa femme ? Non, (dit-il), l'Ecriture avait fixé mon sort ; La condition humaine est un sursaut du vide. L'homme de huit mille ans, dont l'esprit est lucide, Contemple de ses fils le lamentable effort. |
Homme de deux mille ans
On n'est pas sérieux quand on a deux mille ans, Le fils du charpentier, dont la mère est princesse Des royaumes humains, les a fêtés, pourtant. Le pape en son honneur a fait dire une messe. L'homme de deux mille ans, ce monde visitant, Le trouve sans amour, sans joie et sans noblesse. Ceux mêmes qui de lui se disent militants, Quand il voit comme ils sont, ça l'use et ça le blesse. Ne reconnaissant plus, dans ce primate infâme, Adam par lui sauvé, le sauveur perd sa flamme. Il se dit : « J'aurais dû laisser, coquin de sort, Ces humains sans aveu à leur monde putride ». L'homme de deux mille ans s'en retourne, placide, Vers son lointain royaume, et plus jamais n'en sort. |