D'inspiration, cette fureur divine, Jamais ne peut un voyant s'abriter : Au fond de lui, se prend à miroiter Un univers que son coeur imagine. De ces éclats que son esprit devine, Il fait des mots qu'il veut expliciter ; À les ouïr chacun est invité, C'est à cela que l'auteur les destine. Il les répand par les champs et la ville, En palais noble et en demeure vile Où l'on s'éjouit de l'entendre chanter. Puis il retourne en sa sombre cambuse, Car il attend la venue de la muse Pour nouveaux chants en ce monde enfanter. |
Étrange est ce métier que l'on fait en rêvant. Le poète, emporté dans d'étranges pensées, Soit de l'instant présent, soit de sa vie passée, En imagination plus qu'en acte est vivant. Il est vibrant de mots, au matin, se levant, Il voit devant ses yeux une image insensée, Sa syntaxe est parfois quelque peu défoncée Car ce qui est derrière eût pu être devant. Sa versification est un jeu de folie ; C'est de folle passion et de mélancolie Qu'il fait proliférer les rimes sans raison. L'écho d'anciens sonnets résonne dans son âme, Il mijote un breuvage, assemblant des poisons Qui tout au long des jours alimentent sa flamme. |
Le temps c'est nous, et
nous sommes
la fable Que nous disait un auteur très obscur. Nous sommes d'eau, et non de diamant dur, D'eau qui se perd et n'a de lieu durable. C'est nous le fleuve et c'est nous l'homme grec Se regardant dans l'eau, et son image Qui toujours danse au miroir si volage, Virevoltant comme un feu de bois sec. C'est nous, vain fleuve, astreint à son parcours Vers l'océan, et c'est l'ombre alentour. Tout dit adieu, tout va vers d'autres rives. Et plus ne bat monnaie notre mémoire. Reste pourtant une chose, il faut croire, Reste pourtant une chose plaintive. |
L'écriture accomplit une cuisson mystique : La matière des mots acquiert un nouveau ton. Chaque phrase devient un vers énigmatique, Chaque route un nouveau parcours de marathon. Il est riche de sens, l'arrêt épisodique Au cours duquel ton coeur médite sur les noms Et sur les artefacts auxquels on les applique. Loin des grands postulats, loin du oui et du non, L'écriture accomplit sa portion de chemin Parce que nous avons la foi dans nos deux mains Et que nous comprenons le jargon de la brise. Ainsi, nous écrivons, et ce n'est pas du vent. Le sens au fond de l'âme, et la plume au-devant ; Le sort peut l'éprouver, jamais il ne la brise. |
La torpeur qui s'installe aux premiers jours d'automne Endort les banlieusards au petit matin gris. J'ai vu ça très souvent, je n'en suis pas surpris, Et nul, autour de moi, d'ailleurs, ne s'en étonne. Le chat dans le jardin, frileux, se pelotonne Au creux de l'herbe morte. Il n'entend plus les cris Des oiseaux migrateurs qui, ce matin, ont pris Route vers les lointains. Il repose, il ronronne. Et je pense que c'est ce chat qui a raison, Immobile et paisible auprès de ma maison : A moi, l'agitation ne me dit rien qui vaille. Peut-être il fait marcher son imagination Et voit autour de lui des rats en perdition, Peut-être, il ne voit rien qu'une obscure grisaille. |
La vie de tous les jours a son lot de tourments C'est ce que le folklore appelle « apprendre à vivre » Et ce n'est qu'en marchant qu'on voit la marche à suivre On ne la voit jamais longtemps ni clairement Lune et soleil glissant au long du firmament Ont l'air de deux oiseaux qui jouent à se poursuivre De leur trajet forcé jamais ne se délivrent Ces deux corps qui jamais ne seront des amants. Lune et soleil du fait ne semblent point conscients C'est pourquoi on les voit toujours rester patients En poursuivant leur danse absurde et innocente Quant à nous, il nous faut des doses de fiction Pour échapper à nos fatales conditions Et à ce long parcours qui n'est qu'une descente |
Et n'oublions pas
Lire l'alexandrin ne va pas sans méprises, Le thème s'inversant avec son contrepoint Et la pensée qui trop de sa rime est éprise, Le développement qui manque d'embonpoint, Les signifiants cachés qui sont là par traîtrise, Sachant pertinemment que l'on ne les voit point... Mais si c'est un sonnet qui bien se vocalise, Semblant surgi de l'air, fait à brûle-pourpoint, Ne le soumettons pas à ce joug carcéral D'un style trop contraint, trop subtil, infernal. La parole a bien droit à son itinérance Ainsi qu'on le permet à nos frères humains ; C'est un de leurs plaisirs, vivre sans lendemain, Avancer sans projet, demeurer dans l'errance. |
le rêveur de réalité
Construire le réel n'est pas une entreprise Dont préalablement l'on doit savoir l'effet. C'est un point sur lequel je n'ai nulle maîtrise, Ni n'en voudrais avoir (personne n'est parfait). Puisque notre existence est faite de méprises, Il est des jours auxquels on déclare forfait ; Mais mieux vaut, cependant, le rimeur qui se grise Que le sobre penseur aveuglé tout à fait ! Ce vieillard ne peut pas se changer en austère Moine qui en cellule au long du jour se terre ; Car le mur d'un couvent n'est pas d'une prison. Il restera fidèle à sa dame de brume, Aux partages qu'ils ont, partage d'amertume, Partage de leurs voix, partage d'horizon. |
Il nous faudra sans doute un grand élan de l'âme Pour reprendre la main sur le temps ravageur Mais craindre son action, que nul ne nous en blâme Il n'est telle faiblesse au profond de nos coeurs Saison d'obscurité je ne crois pas aux drames Saison de sombre vent tu n'auras pas mes fleurs Je connais au jardin un arbuste de flamme Que le temps n'atteint point ni le froid ni la peur Aurons-nous un créneau ce soir ou bien demain Pour placer les atouts que nous avons en main Demain portera-t-il ce qui nous fait envie Certes nous éprouvons de grandes confusions En voyant le réel noyer nos illusions Mais c'est pourtant cela qui forme notre vie |
Je relis tous mes vers. Ils me viennent de toi. Ces trois ans d'illusion, ce n'est point là le pire... Mais avant ce temps-là, j'étais un triste sire N'ayant jamais reçu leçons d'amour courtois. Je relis tous mes vers. Je ne sais si c'est moi Qui ai construit ce flot de texte qui soupire... Est-ce moi, cet auteur qui brûle et qui transpire Comme avaient transpiré les bardes d'autrefois ? Enivré de sonnets dans cette vaste plaine Où j'attends de mon train la silencieuse haleine, De ce duo de vers, toujours inassouvi, Je n'ai point aujourd'hui ressenti de fatigue En déposant ici ma parole prodigue Que déchiffre à présent un lecteur assoupi. |