encore un sonnet
Cochonfucius vu par Stéphane Cattaneo








Cette intervention prend la forme d'un sonnet.

S'agit-il d'un sonnet nocturne ? Peu importe.

La croix

Il fit sa propre croix le fils du charpentier
Lui qui était fait pour citer les écritures
Parcourir les chemins guérir les créatures
Mais de son propre corps il n'a pas eu pitié

Il en eut pour longtemps sur ce sacré chantier
Le bois des oliviers est une essence dure
Il ne savait à qui adresser la facture
Au père et à l'esprit peut-être par moitiés

Construisant le moyen d'entrer dans le néant
Et aussi d'édifier même les mécréants
Par sa résignation et sa douceur parfaites

Pour faire de l'esclave un homme moins craintif
Pour réparer le tort du vieil Adam fautif
Il accepta la mort qu'annonçaient les prophètes


   Le pain, le vin et le pardon

Le fils du charpentier, qui partageait son pain,
N'a entrepris aucune opération magique
En disant « C'est mon corps ». Par cette rhétorique,
Il a juste voulu consoler ses copains.

En disant « C'est mon sang » sur la coupe de vin,
Il n'a fait qu'exalter la boisson bénéfique,
Capable d'adoucir sa condition tragique.
D'autre sens là-dedans, tu chercherais en vain.

Qu'en est-il de sa voix qui veut que l'on pardonne
À tous les offenseurs ? Est-ce qu'il nous ordonne
De faire comme si s'éteignait la douleur ?

Avant tout, le Sauveur nous préfère hommes libres.
De notre sentiment, éprouvons chaque fibre :
Puis, pardonnons, ou non, mais selon notre coeur.




En écho :

Une verticale, une horizontale

Adam, pieds dans le sol, orgueilleux paladin,
Médite sur son corps, sur cet arbre qui danse.
Levant les yeux au ciel, il voit cette arche immense
Que parfois bouleverse un changement soudain.

Puis il étend son bras, qui s'arme d'un gourdin,
Vers les quatre horizons porteurs de forêts denses :
Pôle, équateur, levant, couchant sous sa puissance,
Forment les quatre murs de son petit jardin.

Content de son pouvoir, il dresse une colonne
Au milieu du gazon. Les oiseaux s'en étonnent :
Cet arbre ne vient pas du seigneur éternel.

La colonne est ensuite ornée d'une traverse,
Mais Adam n'a pas eu la tentation perverse
D'y accrocher le corps de Caïn ou d'Abel.


         Pater Noster

Tu nous as demandé de sanctifier un nom
Qui pour nous, cependant, n'est qu'un obscur mystère.
Nous devons te prier de régner sur la terre,
Ne sachant si aux cieux tu gouvernes ou non.

Sur terre comme au ciel, nous te le demandons,
Ta volonté soit faite. Or, tu es notre père,
Et cette volonté s'accomplit, je l'espère,
Même quand, par malheur, nous nous en défendons.

Tu es aussi chargé de procurer du pain
A qui n'a pas encore un costume en sapin ;
A ceux qui font du mal, il faut que tu pardonnes,

Comme nous pardonnons aussi aux malfaiteurs.
Et s'il vient près de nous, le démon tentateur,
Point ne faut qu'en ses mains tu ne nous abandonnes.




La bénédiction des langues

Nous voici réunis, ce jour de Pentecôte,
Attendant que l'Esprit nous donne du talent.
Matthieu veut être juste et Marc être galant,
Luc aimerait savoir préparer l'entrecôte,

Jeannot courir sans être essoufflé dans les côtes,
Pierrot plus aisément convertir le chaland,
Jacquot voir des Romains devant lui détalant,
Venez, divin Esprit, venez, soyez notre hôte!

L'obscurité se fait dans un souffle qui gronde.
Soudain, des traits de feu, issus d'un autre monde,
Viennent toucher chacun de nos fronts de pécheurs.

Chacun gagne un lexique, un style, une grammaire,
S'ajoutant au parler qu'il tenait de sa mère :
Douze apôtres, dès lors, seront douze prêcheurs.


   L'Esprit se remémore

J'ai vu ces douze enfants privés de leur grand frère
Qui s'était envolé, transformé en corbeau,
Quarante jours après sa sortie du tombeau.
Ils sont restés neuf jours sans trop savoir quoi faire,

Ne pouvant, quant à eux, monter dans l'atmosphère,
Ou bien, il eût fallu un très grand escabeau.
Ils sont allés en ville avec leurs gros sabots,
Et se sont assemblés, proclamant cette affaire

Devant des gens venus d'un peu partout sur Terre ;
Lesquels n'ont rien compris aux étranges mystères
Que les douze narraient dans un dialecte obscur.

Alors, pour les sauver, j'ai touché de mes flammes
Le sommet de leur crâne et le fond de leur âme :
Voici qu'en toute langue ils parlent, d'un ton sûr.