La croix
Il fit sa propre croix le fils du charpentier Lui qui était fait pour citer les écritures Parcourir les chemins guérir les créatures Mais de son propre corps il n'a pas eu pitié Il en eut pour longtemps sur ce sacré chantier Le bois des oliviers est une essence dure Il ne savait à qui adresser la facture Au père et à l'esprit peut-être par moitiés Construisant le moyen d'entrer dans le néant Et aussi d'édifier même les mécréants Par sa résignation et sa douceur parfaites Pour faire de l'esclave un homme moins craintif Pour réparer le tort du vieil Adam fautif Il accepta la mort qu'annonçaient les prophètes |
Le pain, le vin et le pardon
Le fils du charpentier, qui partageait son pain, N'a entrepris aucune opération magique En disant « C'est mon corps ». Par cette rhétorique, Il a juste voulu consoler ses copains. En disant « C'est mon sang » sur la coupe de vin, Il n'a fait qu'exalter la boisson bénéfique, Capable d'adoucir sa condition tragique. D'autre sens là-dedans, tu chercherais en vain. Qu'en est-il de sa voix qui veut que l'on pardonne À tous les offenseurs ? Est-ce qu'il nous ordonne De faire comme si s'éteignait la douleur ? Avant tout, le Sauveur nous préfère hommes libres. De notre sentiment, éprouvons chaque fibre : Puis, pardonnons, ou non, mais selon notre coeur. |
Une verticale, une horizontale
Adam, pieds dans le sol, orgueilleux paladin, Médite sur son corps, sur cet arbre qui danse. Levant les yeux au ciel, il voit cette arche immense Que parfois bouleverse un changement soudain. Puis il étend son bras, qui s'arme d'un gourdin, Vers les quatre horizons porteurs de forêts denses : Pôle, équateur, levant, couchant sous sa puissance, Forment les quatre murs de son petit jardin. Content de son pouvoir, il dresse une colonne Au milieu du gazon. Les oiseaux s'en étonnent : Cet arbre ne vient pas du seigneur éternel. La colonne est ensuite ornée d'une traverse, Mais Adam n'a pas eu la tentation perverse D'y accrocher le corps de Caïn ou d'Abel. |
Pater Noster
Tu nous as demandé de sanctifier un nom Qui pour nous, cependant, n'est qu'un obscur mystère. Nous devons te prier de régner sur la terre, Ne sachant si aux cieux tu gouvernes ou non. Sur terre comme au ciel, nous te le demandons, Ta volonté soit faite. Or, tu es notre père, Et cette volonté s'accomplit, je l'espère, Même quand, par malheur, nous nous en défendons. Tu es aussi chargé de procurer du pain A qui n'a pas encore un costume en sapin ; A ceux qui font du mal, il faut que tu pardonnes, Comme nous pardonnons aussi aux malfaiteurs. Et s'il vient près de nous, le démon tentateur, Point ne faut qu'en ses mains tu ne nous abandonnes. |
La bénédiction des langues
Nous voici réunis, ce jour de Pentecôte, Attendant que l'Esprit nous donne du talent. Matthieu veut être juste et Marc être galant, Luc aimerait savoir préparer l'entrecôte, Jeannot courir sans être essoufflé dans les côtes, Pierrot plus aisément convertir le chaland, Jacquot voir des Romains devant lui détalant, Venez, divin Esprit, venez, soyez notre hôte! L'obscurité se fait dans un souffle qui gronde. Soudain, des traits de feu, issus d'un autre monde, Viennent toucher chacun de nos fronts de pécheurs. Chacun gagne un lexique, un style, une grammaire, S'ajoutant au parler qu'il tenait de sa mère : Douze apôtres, dès lors, seront douze prêcheurs. |
L'Esprit se remémore
J'ai vu ces douze enfants privés de leur grand frère Qui s'était envolé, transformé en corbeau, Quarante jours après sa sortie du tombeau. Ils sont restés neuf jours sans trop savoir quoi faire, Ne pouvant, quant à eux, monter dans l'atmosphère, Ou bien, il eût fallu un très grand escabeau. Ils sont allés en ville avec leurs gros sabots, Et se sont assemblés, proclamant cette affaire Devant des gens venus d'un peu partout sur Terre ; Lesquels n'ont rien compris aux étranges mystères Que les douze narraient dans un dialecte obscur. Alors, pour les sauver, j'ai touché de mes flammes Le sommet de leur crâne et le fond de leur âme : Voici qu'en toute langue ils parlent, d'un ton sûr. |