Les intuitions métaphysiques de Yake Lakang





immanence et transcendance ne sont pas des marchandises                Yake Lakang se posa un jour la question centrale de la métaphysique contemporaine : comment notre destin trouve-t-il son sens ?

Une réponse classique est de dire que c'est dans le pinard mystique. Pourtant, qu'en est il des autres désirs ? Et comment les seigneurs d'autrefois ont-ils pu tenter de trouver une satisfaction pour ces désirs ?

D'après Yake Lakang, ce sont les conversations entre ivrognes, et non les seigneurs quand ils sont sobres, qui procurent à l'homme sa part de transcendance, en faisant du monde un autrement dit, une ramure d'associations signifiantes d'où surgit un sens global de la réalité.
       


Yake Lakang remonte alors, en développant une spéculation magistrale, aux origines de la picolation à plusieurs. Il met en évidence un enchaînement ternaire : un rituel engendre un vidage de bouteilles qui engendre l'omniscience. Par exemple, un groupe se met à chanter la gloire de puis toutes ses recrues s'interrogent sur la nature et l'origine du charisme de Dupanloup, et finalement certains membres du groupe élaborent des mythes concernant non seulement ce héros d'autrefois, mais les attitudes que les hommes doivent adopter afin d'honorer sa mémoire. Cette dynamique est à l'origine de l'art, de la science, de la mythologie et de bien d'autres aspects des comportements collectifs des humains.


Duc-Paon-Loup


Les choses se compliquent du fait de la diversité des groupes humains, dont les habitudes picolatoires se contredisent, et du fait du dialogue intérieur de chaque individu avec lui-même, par lequel il peut remettre en question ses propres explications du monde. En particulier, le langage peut questionner la cohérence et la pertinence de l'arbre emblématique que propose chacune de nos conversations. Pour illustrer de telles attitudes, Yake Lakang s'appuie, entre autres, sur les méditations tordues de Cochonfucius et de ses disciples, ainsi que sur une cosmologie de l'inframonde glauque.

Ces deux approches s'inscrivent dans un temps onirique, quelque peu extratemporel. En effet, la conscience de tout homme procède des conversations qu'il peut avoir en buvant le soir. Cela correspond à la quête obstinée qui fut celle du gyrovague optimiste, pour qui une telle entreprise rejoint la vision transcendantale, par laquelle nos apprentissages ne sont que délires crépusculaires.

D'autres apports à l'arbre emblématique proviennent du penseur religieux de la montagne de l'Est. Il commence par poser la transcendance des animaux par rapport aux phénomènes de la Nature. Puis il élabore un modèle trinitaire de la Transcendance, apportant une réponse originale à la question triple « D'où venons-nous, qui sommes-nous et où allons-nous ». En effet, la personne de Cochonfucius est présentée comme responsable de l'origine du monde, tandis que le gyrovague témoigne de la nature humaine et que Yake Lakang incarne les lendemains qui chantent.

Cette vision est pacifique. Pourtant, des violences entre buveurs se sont produites au cours des siècles, que ce soit sous forme de paroles injurieuses, de persécutions quotidiennes ou de massacres effroyables.

Pour lutter contre ce climat d'incompréhension et parfois de dureté, le rituel joue aussi un rôle. Yake Lakang consacre d'intéressants développements au fait que les buveurs mangent volontiers de la charcuterie en disant Hoc est porcus et en rendant ainsi hommage au Maître.

Une des dernières images du livre nous montre l'auteur en contemplation devant un verre vide.

Il y voit une ré-affirmation de la transcendance de la mission de l'homme sur Terre. Le monde est inaccompli, il attend notre effort.

D'un style foisonnant, mais tendu obstinément vers ses conclusions, cette prose est une prodigieuse exploration de l'univers mal cartographié de la conversation entre ivrognes. Plusieurs anecdotes en illustrent la démarche riche en détours féconds. C'est aussi une bonne introduction à la discipline subtile qu'est aujourd'hui la métaphysique. Si elle ne peut pas encore se présenter comme une science, elle en prend le chemin grâce à des auteurs comme Yake Lakang.