Sur L'Homme de Shanghai
       (Liana Levi, 367 pages, avril 2005, ISBN 2-86746-392-0, vingt euros)
      de Bo Caldwell, par Jean-Baptiste Berthelin pour ArtsLivres


Shanghai         L'histoire commence en 1937. Un riche étranger, né quelque part en Chine, est devenu l'un des plus puissants hommes d'affaires de Shanghai. Pour sa fille de six ans, c'est un dieu. La ville semble lui appartenir, avec ses arrogants immeubles de style occidental et ses sombres recoins purement chinois. Mais cette même année, la ville tombe aux mains des Japonais. Les affaires prennent mauvaise tournure.


Certes, après la chute, le commerce continue, mais à la suite de Shanghai, c'est Nankin qui succombe, et les jours des Chinois et de leurs amis deviennent noirs. La narratrice se réfugie en Californie, tandis que son père affronte les circonstances de plus en plus hostiles. Dans un premier temps, il se croit protégé en tant que citoyen des Etats-Unis. Mais l'attaque de Pearl Harbor met fin à cela. Il faut tâcher de survivre, troquer la montre en or contre une bicyclette, s'adapter à la dureté quotidienne de l'occupation. Notre héros subit la prison, puis, à la faveur d'un échange de détenus, rejoint la Californie, et de là, repart vers Chongqing comme agent de liaison. En septembre 1945, il retrouve Shanghai.

Il y vit seul, le temps que les affaires reprennent. Puis sa femme et sa fille le rejoignent, mais il n'a que peu de temps à leur consacrer, car les conditions économiques sont tumultueuses, ainsi que sa propre vie sentimentale. De fil en aiguille, surviennent la séparation et le divorce.

En 1949, l'Armée Populaire de Libération entre dans la ville. De 1951 à 1954, c'est à nouveau la détention, sous une accusation d'espionnage. Puis le bannissement, et enfin quelques brèves années de misère, en Californie où il renoue quelque peu avec sa fille, et se voit bien apprécié dans le rôle de grand-père.

Ce personnage lutte, toute une vie, puis s'éteint paisiblement, et les sorts contraires ne l'ont pas aigri. Le modèle en est, non le père, mais l'oncle préféré de Bo Caldwell. Ayant recueilli le témoignage de ce survivant des années noires, elle en a fait une figure hautement romantique. La ville de Shanghai, théâtre de ses aventures, n'est pas encore une impressionnante métropole futuriste, mais un monde semi-colonial révolu, dont l'auteur parvient magnifiquement à restituer le caractère si particulier.

Du fait de son attachement à un lieu qui n'est plus, un homme souffre mille morts. Cependant, il trouve son salut dans son sens du réel, et dans ses facultés d'empathie. Il n'est pas né en Chine pour rien. Le roman nous le montre avec une force subtile, cela fait partie de ses charmes.