Yake Lakang se livre à des explications






Aquila non capit muscas              Qu'une mouche se pose sur le nez de Cochonfucius est plus probable que l'inverse. Cette remarque pertinente de Yake Lakang donne le ton du recueil, qui traite successivement des mouches, de la fugacité consternante des fèves anthropomorphes, de la prolifération regrettable des musettes inutiles, de la gloutonnerie bestiale des courgettes autochtones, de la grande falsification des coquilles imperceptibles, des bénéfices et maléfices de Marcel Gotlib et des pluvians, de la fécondité littéraire, des pantodromes socratiques, de marjolaine en branches, d'animaux anthropomorphes et virils, de la fin de la sémantique et de bien d'autres choses passionnantes. Chacun de ces brillants essais est précédé d'une citation poétique sur les mouches bleues, car ces messagères du destin sont censées fournir le fil conducteur de ce recueil hétéroclite. Les mouches, la poésie et une curiosité universelle : tels sont les ingrédients de ce mélange surprenant.
       
Cet univers semble construit par une forme assez subtile de méditation abstraite. Trois pages esquissent une chronologie barbare. Quelques lignes tranchent de la condition du grand dignitaire au sommet des hiérarchies. Selon un fragment métaphysique de l'ouvrage, les machines sont artefactuelles et autonomes, mais néanmoins faillibles, parce que le monde n'a pas encore été créé.


Cela procure une explication à beaucoup de choses. Admettons que le monde ne soit qu'une préfiguration onirique de ce qu'il sera, ou ne sera pas. Alors, certes, tout peut arriver, comme dans une chanson de Cochonfucius. Ainsi on peut tout croire, ou ne rien croire du tout, ou bien alterner ces deux postures.


Les contingences restent cependant bien astreignantes. Ainsi, à force de trouver du sens aux messages, tout intellectuel se retrouve confronté au besoin d'en évacuer périodiquement une dose massive, sous forme de publications officielles. Supposons qu'un auteur en a produit cinq cents. Il faut trouver quelques amis qui accepteront d'en lire chacun un nombre raisonnable avant d'aller dormir. Au bout du compte, pas plus d'une vingtaine de titres ne trouvent preneur. Et encore, sur ce nombre, une partie endort les lecteurs sans crier gare. Un problème, fort simple en apparence, se montre insoluble en fin de compte.


L'Homme est-il alors un animal ridicule ? Souvent, il le devient, par son acharnement à jouer solennellement un rôle, être un juge, un démiurge, un Maître spirituel. C'est pourquoi il doit prendre exemple sur les mouches, et, s'il se retrouve néanmoins pris dans une bouteille, avoir recours à la pensée de Ludwig Wittgenstein pour en sortir.


Calpurnia affirme d'ailleurs que les bourdonnements des mouches font marcher les machines, car ils sont la voix profonde et divine de l'univers. Kassandra dit que le concert des mouches estivales perturbe sa sieste. Clémentine estime qu'elles mériteraient une formation musicale, à trois coquilles de dibo par mouche et par jour. D'innombrables auteurs sont ainsi convoqués pour promouvoir ces noires compagnes.


Ce collage de citations sur les mouches est partie intégrante du recueil, qui lui-même peut être vu comme un assemblage minutieux de constituants soigneusement fignolés et ajustés les uns aux autres. Prenons-les au hasard, ou dans l'ordre où ils se présentent, c'est un émerveillement comparable à celui que l'on éprouve devant un jouet mécanique de qualité. C'est donc une encyclopédie à savourer joyeusement, avec ou sans la compagnie des mouches.